Kroaz Ar Vretoned - La croix des bretons

Kroaz ar Vretoned s’arrêtera en Juin 2023

Chers amis,

Tout d’abord, nous vous souhaitons une bonne et sainte année 2023, avec ce numéro de Décembre, un peu en retard. A l’origine de la création de ce journal, nous nous étions laissés 18 mois d’observation, à fournir le meilleur contenu possible pour la défense de la Bretagne Catholique, des articles sur l’Histoire, le Patrimoine et la Culture de la Bretagne, mais également sur la Doctrine Sociale de l’Eglise, source admirable de solutions pour notre société actuelle.

L’heure est donc venue de faire un bilan, et de voir si l’aventure Kroaz ar Vretoned doit se poursuivre ou s’arrêter. A ce jour, notre journal est tiré à moins de 50 exemplaires mensuels, et nous remercions d’ors et déjà tous nos lecteurs qui nous soutiennent. Toutefois, ce bilan quantitatif implique trois éléments :

Une nouvelle fois, nous vous souhaitons tous une bonne et sainte année 2023 : Bloavezh mat d’an holl ! Kenavo !

Augustin DEBACKER

Rédacteur en chef de kroaz ar vretoned

A propos

Notre journal catholique, rédigé en grande majorité en français, a un triple objectif :

Père de famille de 5 enfants habitant en Centre-Bretagne, catholique engagé en paroisse, il est le fondateur du journal Kroaz ar Vretoned. Scout d’Europe pendant plus de 20 ans, il a découvert la culture bretonne par la figure de Perig Geraud Keraod, les cantiques et journaux comme O lo lê.

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Notre journal est basé à Pontivy.

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Saints Bretons

Saint Cado

Saint traditionnel breton, Saint patron des lutteurs, Saint Cado est assez connu dans nos contrées bretonnes. Né vers 497 dans le Glamorgan au Pays de Galles, Saint Cado serait issu d’une illustre lignée de notables gallois. Refusant le métier des armes pourtant souhaité par son père, il fait le choix de suivre le Christ et fonde l’Abbaye de Llancarfan en Ecosse – où, encore aujourd’hui, une église lui est toujours dédiée.

Contemporain de Saint Gildas et de Saint Brendan, Saint Cadoc prend la mer au début du VI°Siècle et fonde un monastère sur l’île Saint Cado, près de la rivière d’Etel en Morbihan. Ce monastère sera repris quelques années plus tard par les moines bénédictins de l’Abbaye Sainte Croix de Quimperlé, qui en feront un prieuré. Albert Le Grand décrit l’installation de Saint Cado « en une petite isle qu’on nomme à présent Enes-Cadvod, en la paroisse de Belz, laquelle isle estoit remplie de serpents ; mais le saint l’en purgea par ses prières et tient-on que depuis il ne s’en trouva plus. Il y édifia un petit monastère et, voyant que le peuple du pays circonvoisin l’y venoit visiter, il bastit un beau pont sur le bras de mer qui est entre la dite île et la terre ferme, joignant l’embouchure de la rivière Estell, lequel ayant esté démoly, fut par lui refait encore une fois. »

Voyageur, le Saint prit plusieurs fois la route pour se rendre en Terre Sainte, tout comme à Rome. Il retourna à la fin de sa vie vers sa terre natale galloise, et reçut l’ordination épiscopale et la responsabilité du diocèse de Bannaventa, en Angleterre. Il y fit face aux assauts des saxons et mourut d’un coup de lance dans le cœur, alors qu’il célébrait la Messe.

Son culte est particulièrement répandu en Bretagne, où de nombreuses chapelles lui sont dédiées comme à Auray, Locoal-Mendon, Loudéac ou à Saint Cadou, et mais également des fontaines comme celle de Pluméliau.

Saint Melaine, évêque de Rennes

Né un 6 Janvier au milieu du V°Siècle près de Platz (actuelle Brain-sur-Vilaine), Saint Melaine serait fils d’un riche propriétaire gallo-romain. Ses parents, d’une grande piété, lui donnèrent une grande instruction et une belle Foi : « « Il n’y avait pas pour lui de plus grande joie que de visiter les églises, fréquenter les hôpitaux et s’exercer à toutes sortes d’oeuvres charitables » (Albert Le Grand, Vie des saints de Bretagne).

D’abord attiré vers une vie de prière et d’ascèse, il fonde un monastère sur le domaine familial, où il est aussitôt rejoint par quelques moines. Mais ce temps ne fut pas long : l’évêque de Rennes, Saint Amand, était alors accablé par la maladie, et le désigna comme son successeur : « Fils bien-aimé, murmure-t-il, prépare-toi à veiller avec sollicitude sur le troupeau que le Souverain-Pontife doit te confier après ma mort » (Roumain de la Rallaye, Vie des saints de Bretagne). Ordonné évêque en 505, Saint Melaine se distingua rapidement par son zèle apostolique, et la sagesse de ses décisions.

Il devint alors conseiller de Clovis, qu’il encourage à bâtir de nouvelles églises, monastères et chapelles, tout en essayant de préserver une relative paix entre francs et gallo-romains. En parallèle, il veille à préserver la Foi catholique des hérésies qui se multiplient dans ces temps troubles. L’exemple le plus célèbre reste cette lettre « Viri venerabilis », envoyée entre 511 et 520, aux moines Catihernus et Lovocatus, qui condamne avec force et sans détour la participation des conhospitae (hôtesses jointes) à la liturgie et la participation au sacrifice divin : « La nouveauté et la superstition que démontre cet acte dont nous n’avions encore jamais entendu parler ne nous chagrine pas peu parce que, une telle horrible secte, qui n’avait jamais existé en Gaule, à moins qu’on ne nous prouve le contraire, semble émerger à notre époque. Les Pères Orientaux l’ont dénommée Pépodianisme, se basant sur le fait que Pépodius était l’initiateur de ce schisme. Du fait que ces gens sont supposés avoir des femmes en tant qu’associées au sacrifice divin, les Pères ont prescrit que quiconque s’attacherait à cette erreur serait déclaré séparé de la communion ecclésiastique ».[1]

Tout au long de son épiscopat, il multiplie les miracles et œuvres saintes, le dévouement aux plus pauvres et la défense des populations. C’est ainsi qu’en 511, au Concile d’Orléans qui réunit l’épiscopat franc (Rennes ne devient bretonne qu’en 851, après le traité d’Angers), il est l’un des plus ardents défenseurs des bretons et des populations locales : « Melanius regardait le fardeau de l’épiscopat, qu’on lui avait imposé, comme l’obligeant à s’occuper des affaires publiques, à s’inquiéter des soucis de la foule, des questions qui troublaient le monde, à se prêter dans une certaine mesure aux mœurs du siècle » (Albert Le Grand, Vie des saints de Bretagne).

Il rend son âme à Dieu vers 530, et serait enterré sur la colline du Champ du Repos à Rennes, là où est aujourd’hui bâtie l’église Notre Dame en Saint Melaine de Rennes. Les invasions vikings du X°Siècle obligent les moines locaux à s’enfuir, non sans avoir la prudence de prendre les reliques de Saint Melaine, jusqu’à l’abbatiale de Preuilly sur Claise (Indre et Loire). Quelques années plus tard, les reliques reviendront dans le Diocèse de Rennes, où elles sont encore aujourd’hui.


[1] Licinius de Tours, Melanius de Rennes et Eustaches d’Angers, « Viri Venerabilis »,

dit L. Duchesne, « Lovocat et Catihern, bretons du temps de Saint Mélaine, » Revue de Bretagne et de Vendée 7 (1885)

Saint Judicaël, Roi de Bretagne

Saint Judicaël est né vers la fin du VI°Siècle, du Roi de Domnonée et de la Reine Prizel. Il est l’aîné de quinze frères et cinq sœurs, dont un certain nombre seront également considérés comme Saints, à commencer par Saint Josse ou Saint Guinien. Orphelin de père en 605, il décide de renoncer au trône pour se retirer au monastère Saint Jean de Gaël, auprès de Saint Méen.

La mort prématurée d’Haëloc, son frère, lui impose de quitter son monastère pour prendre la direction du Royaume où, pendant près de vingt ans, il gouvernera avec autorité et sagesse, avec bonté et fermeté : « Il était un ami courtois envers ses amis, et tous les combats que les vieux soldats courageux ne pouvaient mener, lui, Judicaël, quoique encore d’un âge tendre, les menait. »[1]

Combattant les envahisseurs francs de Dagobert I°, il rencontre vers 635-636 le Roi franc pour y négocier la paix. Cette rencontre, réalisée près de Clichy, fut également une occasion pour Judicaël de rencontrer l’évêque de Rouen, le futur Saint Ouen, qui précisa dans ses chroniques le respect profond et la grande crainte de Dieu du Saint breton.

Le Journal O lo lê de Décembre 1940 présente un épisode particulier de la Vie de Saint Judicaël : « On raconte qu’un jour, le Roi revenant de la chasse, rencontra un misérable lépreux qui suppliait les passants de l’aider à traverser la rivière. Son aspect répugnant écartait de lui toute aide charitable. Les soldats de Judicaël eux-mêmes détournaient la tête mais le Roi breton, plein de compassion, descendit de sa monture… Il prit le lépreux sur ses épaules et le transporta sur l’autre rive. Lorsque sur la berge Judicaël déposa le lépreux, les traits de celui-ci se transfigurèrent… Son corps devint d’une beauté lumineuse… Profondément ému, le chef breton reconnut en lui le Christ qui avait voulu ainsi l’éprouver. Il bénit le Roi et en lui toute la Bretagne ».

23 Novembre – Saint Bieuzy

Compagnon de Saint Gildas, fondateur du Monastère de Saint Gildas de Rhuys, Saint Bieuzy (Sant Bihui) est né au cours du V°Siècle en Bretagne insulaire. Arrivé en Armorique vers la fin du V°Siècle, il remonta le Blavet (fleuve qui traverse les Côtes d’Armor et le Morbihan) pour fonder un premier ermitage près de l’ancienne commune de Castennec (aujourd’hui rattachée à Pluméliau). L’ermitage, devenu oratoire quelques temps plus tard, vit l’arrivée de plusieurs habitants qui formèrent les premières bases de la ville de Bieuzy.

La vie de Saint Bieuzy reste liée à un beau miracle, conté par l’hagiographe Guy Autret de Missirien (XVII°Siècle) : Un jour qu’il est sommé par un valet de rejoindre le Seigneur de ces terres pour guérir sa meute de chiens, Saint Bieuzy refusa d’y aller avant d’avoir célébré la Messe pour les fidèles présents. Le Seigneur des lieux, furieux, se précipita sur le Saint et le frappa d’un coup de hache à la tête. Saint Bieuzy, la hache plantée dans la tête, continua toutefois de célébrer l’office et, suivi de la foule, prit la route de Rhuys pour recevoir, avant de mourir, la bénédiction de Saint Gildas en son Abbaye.

La chapelle de Saint Bieuzy, à Pluvigner, marque le lieu où le Saint s’arrêta pendant son trajet pour y dormir. La fontaine à proximité, aujourd’hui placée sous sa protection, est ainsi une source particulière de dévotion populaire pour demander l’intercession de Saint Bieuzy pour la guérison des maux de têtes et rages de dents. L’histoire raconte que le Seigneur, rentré en sa demeure, trouva tous ses animaux enragés et que les chiens l’attaquèrent à mort, lui et ses serviteurs.

Un proverbe en haut-vannetais est aujourd’hui encore parfois utilisé : _« Ki klan, troeit a me hent, – Doué ha me hieu en hent. – Sant Bihui e oé gañnet – Kant ma oeh hui, ki klan arrajet. « Chien enragé, tourne-toi de mon chemin ; ce chemin est à Dieu et à moi. Saint Bieuzy était né bien avant toi, chien fol enragé » _

L’intercession des Saints, dulie et humilité

La question de l’Intercession des Saints, c’est-à-dire la demande spécifique d’intervention d’un Saint en faveur de notre prière, reste assez complexe pour bon nombre de nos contemporains. Ancrée dans la Communion des Saints, la définition claire que nous connaissons aujourd’hui est assez tardive dans l’Histoire de l’Eglise : c’est en effet en 1563 que le Concile de Trente pose la distinction entre la dulie (culte réservé aux saints et bienheureux), l’hyperdulie (culte réservé à la Sainte Vierge Marie) et la latrie (l’Adoration réservée à Dieu et aux personnes de la Sainte Trinité).

C’est dans ce contexte de début de Contre-Réforme que se développent les statuaires, les grands vitraux, calvaires et catéchèses particulières, en sus bien évidemment des grands pèlerinages comme le Tro-Breiz qui connaissent aux XIV° et XV°Siècles leurs grandes heures. Dans la liturgie cornouaillaise, il existe un adage particulier qui permet d’éclairer cette question de l’Intercession des Saints : « Septem sanctos veneremur, et in illis admiremur, septiformam gratiam qui perversos converterunt qua repleti repleverunt dogmate Britanniam » (Vénérons les Sept Saints et admirons en eux les sept dons du Saint-Esprit, Ils ont converti les égarés et rempli de la Foi qui les animait toute la Bretagne).

Ainsi en premier lieu peut-on parler de vénération des Saints, vénération de leurs reliques, et non Adoration, ce terme étant réservé à la seule latrie. Cette vénération des Saints est d’abord à voir comme un honneur rendu à ces exemples de Foi en Bretagne, comme le disait le Bienheureux Père Julien Maunoir : « Ces brillantes lumières furent envoyées par Dieu dans les dernières limites de la Gaule celtique, pour dissiper les ténèbres de l’infidélité »[1]. Exemples de Foi et de courage dans les épreuves, exemples de persévérance et de Fidélité dans l’adversité : Saint Samson n’a-t-il pas traversé les flots déchaînés pour évangéliser l’Armorique ? Saint Pol Aurélien n’a-t-il pas terrassé le Dragon de l’Île de Batz par la force de sa Foi ? Saint Hervé, aveugle, ne s’est-il pas complètement abandonné à la Providence face au loup ? Tous ces Saints sont donc honorés en tant que serviteurs exemplaires de Dieu, et non en tant que Dieux eux-mêmes, comme le clameront les protestants lors de la grande Réforme du début XVI°Siècle.

Albert Le Grand, l’hagiographe breton


Né en 1599, Albert Le Grand est l’un des hagiographes les plus connus de Bretagne, à l’instar de Dom Lobineau par exemple. D’abord étudiant au couvent dominicain de Morlaix, Albert Le Grand entre dans les ordres au couvent de Rennes en 1620. Il entame dès lors un véritable tour de Bretagne des couvents, passant de Quimperlé à Guingamp, Dinan, Vitré et Nantes, où il recueille une série de traditions locales, d’hagiographies de saints locaux, etc… « Il entre dans les églises, les monastères, consulte les chartriers, les terriers, les beaux manuscrits, que des clercs aussi habiles qu’instruits ont calligraphiés ». [1]

En 1627, il reçoit une commande particulière du vicaire général de la congrégation des dominicains, Noël des Landes, qui lui demande de rassembler l’ensemble des informations disponibles sur l’Histoire des évêchés bretons, des églises et des monastères bretons, en sus de la vie des Saints de la Bretagne.

Fruit d’un travail de huit ans, cette compilation sera publiée en 1636 chez Pierre Doriou, sous le nom de « La Vie des saincts de la Bretaigne armorique », qui connaîtront un franc succès. Cette première somme hagiographique bretonne comprend 78 vies de Saints et 9 catalogues épiscopaux, un pour chacun des diocèses bretons. Plusieurs fois réédités depuis, l’ouvrage s’est étoffé par la suite d’ajout notables, notamment par le travail du généalogiste et historien Guy Autret de Missirien, contemporain d’Albert Le Grand.

Le moine rendit son âme à Dieu au couvent de Rennes entre 1640 et 1641. Si son œuvre fut souvent critiquée pour son côté « légendaire », y compris par l’historien Arthur de la Borderie qui le surnommait « Le La Fontaine de la Légende », il reste l’une des pierres angulaires de l’hagiographie bretonne et surtout un témoin tout particulier de la ferveur bretonne du XVII°Siècle envers ses saints.

6 Octobre – Saint Ivy

Saint Ivy (ou Yvi), fut moine de Bretagne insulaire au VIIe siècle. Nous n’avons que peu de traces écrites de la vie de ce saint, vie qui ne nous est parvenue qu’à partir d’une combinaison d’hagiographies, comme bon nombre de vie de Saints de ces premiers siècles. L’une des sources les plus complètes sur la vie de Saint Ivy reste l’Acta sanctorum octobris : ex latinis et graecis, aliarumque gentium monumentis, servata primigenia veterum scriptorum phrasi, publiée en 1770 – année de la fondation de la Chapelle Saint Ivy à Pontivy, sur les traces de l’antique église dédiée à Saint Ivy.

Saint Ivy serait né au Pays de Galles, vers l’an 655. Eduqué dans la Foi catholique par ses parents, Branon et Egida, il aurait été remarqué par sa vive intelligence et sa curiosité naturelle. Après la mort de ses parents vers 680, il décide de se consacrer totalement au Christ et rejoint l’Abbaye de Lindisfarne où il aurait été recueilli par saint Cuthbert, Abbé de Lindisfarne, qui deviendra ensuite évêque de Durham. Saint Ivy sera alors ordonné diacre, mais refusera l’ordination sacerdotale par humilité. Tout comme Saint Cuthbert et Saint Herbert, il souhaita vivre en ermite et prit la mer pour atteindre la petite Bretagne.

Il débarque sur la côte bretonne, près de Ploubazlanec où il fonde un premier ermitage, qui deviendra par la suite Loguivy de la Mer. De là, il gagne le centre-Bretagne, fonde un autre ermitage et construit un pont qui enjambe le Blavet. Ce petit monastère commence à rayonner et devient progressivement un bourg du nom de Pontivy, en hommage à son Saint fondateur. Le pont aurait été détruit au X°Siècle lors des invasions normandes, tout comme le monastère.

Saint Ivy aurait fini son parcours breton vers le littoral atlantique près de Concarneau, où il aurait fondé son dernier ermitage à Saint-Yvi. « C’est en ce lieu que le saint passe le reste de ses jours dans les jeûnes, les veilles, et la pratique de toutes les vertus, dont il est un modèle parfait » écrit Dom Lobineau ; il meurt un 6 octobre peu après l’an 700 (l’année précise de son décès est inconnue) »[1]. Son corps fut rapatrié plus tard en Angleterre à la fin du Xe (984 selon l’Acta sanctorum octobris) et aurait reposé dans l’église du monastère bénédictin de Wilton dans le comté de Wilts.

Il est parfois confondu avec le Saint Patron du Pays de Galles, Saint David de Ménevie (Sant Dewy), mais le nombre de chapelles dédiés et de communes portant son patronage confirment son passage armoricain, et sa place toute particulière dans le coeur des bretons.

[1] Charles Floquet, Au cœur de l’Arcoat. La Bretagne intérieure : L’itinéraire breton de saint Ivy, France-Empire, 1982

16 Septembre – Saint Cornély

De tous les saints protecteurs du bétail qui existent en Bretagne, Saint Cornély (Corneille) est probablement l’un des plus connus, aux côtés de Saint Eloi ou Saint Herbot, et plus spécifiquement encore dans le Sud de la Bretagne. Sant Korneli fut Pape de 251 à 253, fut persécuté par l’Empereur Romain Gallus et mourut en exil.

Il existe une légende bretonne, autrefois narrée par les enfants de Carnac et du Sud du Morbihan : « Cornéli, pape à Rome, était poursuivi par des soldats païens. Deux bœufs l’accompagnaient et portaient ses bagages. Un soir, il arriva devant la mer. Les soldats le serraient de près, rangés en bataille. Il se cacha dans l’oreille d’un bœuf et transforma ses ennemis en pierre. Telle est l’origine de ces alignements mégalithiques de Carnac, si célèbres. Ils sont, en effet, appelés Soudarded sant Korneli (Soldats de Saint Cornéli). »[1]

Le culte de Saint Cornély, assez répandu en Bretagne avec des églises et chapelles dédiées à Carnac, Plouhinec, Lanester ou encore à Gourlizon, s’est également renforcé par la présence d’un statuaire assez développé, comme à Stival, Plouray, Pluméliau ou encore à Guidel. Cet attachement populaire à la figure de Saint Cornély se concrétisait parfois par des traditions locales, comme à Stival (56) où les veaux et vaches, confiées à la protection du Saint, faisaient en procession le tour de la chapelle pour ensuite se rendre à la fontaine, le jour même.

Un nouveau miracle fut même attribué à Saint Cornély lors de la terrible épidémie bovine de 1882, où les prières des habitants de la Chapelle des Marais vers le saint protecteur furent exaucées. L’année d’après, le Pardon du 16 Septembre fut réorganisé et les bœufs, parés de dentelles et de draperies en remerciements au Saint.

[1] Les Saints Guérisseurs et protecteurs du bétail en Bretagne

Les Saints bretons sauroctones

Si certains Saints bretons sont facilement reconnaissables par leurs attributs, comme le loup de Saint Hervé, la céphalophorie de Sainte Noyale ou de Sainte Tréphine, le bœuf de Saint Cornély, d’autres saints possèdent des attributs particuliers, à savoir des dragons, vouivres, serpents et lézards. Ces Saints, à la suite de Saint Georges et Saint Michel, sont appelés « Saints Sauroctones », à savoir « tueurs de dragons/lézards ».

Et la Bretagne peut se targuer d’avoir eu un nombre conséquent de Saints pourfendeurs de dragons et lézards : L’un de ses saints fondateurs, Saint Tugdual, terrassa le dragon près de Tréguier ; Saint Armel jeta le serpent dans la Seiche ; Saint Derrien tua le dragon de l’Elorn pour protéger l’enfant Saint Rioc ; Saint Gildas terrassa le dragon de la grotte de Peuvin ; Saint Efflam tua le dragon près de Prestin-les-Grèves, …

Tous ces combats et victoires font, de fait, écho aux douze itérations de la figure du Dragon dans la Bible, avec plus spécifiquement le combat de Saint Michel dans le Livre de l’Apocalypse : « Il y eut alors un combat dans le ciel : Michel, avec ses anges, dut combattre le Dragon. Le Dragon, lui aussi, combattait avec ses anges, mais il ne fut pas le plus fort ; pour eux désormais, nulle place dans le ciel. Oui, il fut rejeté, le grand Dragon, le Serpent des origines, celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier. Il fut jeté sur la terre, et ses anges furent jetés avec lui. ».

Historiquement, cette victoire du Saint Catholique contre la figure du dragon a surtout été relayée comme image de la victoire de l’Evangile face à l’antique religion païenne, avec parfois une véritable belle conversion du saurien. Par exemple, Saint Pol n’eut pas à proprement combattre le dragon de l’île de Batz, mais parvint à maîtriser la bête en lui passant l’étole autour du cou. Calme, obéissant et docile, l’animal fut emmené « en laisse » par le Saint pour y rejoindre les profondeurs du « Toul ar Sarpant ».

En Bretagne, chaque combat de Saint sauroctone est lié à un lieu, à une géographie, à une histoire toute particulière. Saint Méen par exemple, et son combat face au dragon près du Cellier, est profondément lié à la beauté du paysage et de son coteau, tout comme le Rocher du Dragon dans la baie de Saint Malo, où fût libéré Saint Rioc, reste de toute beauté.

Même si aujourd’hui l’allégorie est toujours utilisée pour narrer ces hagiographies bretonnes, préférant le fantastique et l’imaginaire pour atténuer la réalité, ces hagiographies ont traversé les siècles non pas comme de simples histoires enfantines, mais comme de véritables récits qui mettaient en avant le courage, l’Espérance, la force de la prière, le rejet du péché et l’inéluctable victoire du Christ sur le mal, dans sa figure la plus horrible. Ces Saints sauroctones ont donc une place toute particulière dans le chapelet de Saints bretons, aux côtés des grands saints navigateurs, céphalophores ou évangélisateurs : ils incarnent le courage catholique, le courage de la Foi, une vertu qui manque parfois cruellement aujourd’hui.

Patrimoine

Reine et Duchesse très chrétienne

Pendant ses quelques dizaines d’années de règne, la Reine Anne de Bretagne commanda plusieurs livres d’heures, c’est-à-dire les livres liturgiques destinés aux fidèles catholiques laïcs pour qu’ils puissent suivre la liturgie des heures. Elle commanda notamment les Très Petites Heures d’Anne de Bretagne réalisées par l’artiste Jean d’Ypres (1498), les Petites Heures d’Anne de Bretagne, réalisées par l’artiste Jean Pichore (1503) et surtout les Grandes Heures d’Anne de Bretagne, réalisées par l’artiste Jean Bourdichon (1503-1508), qui reste aujourd’hui l’un des manuscrits les plus populaires au monde.

Au sein de cet ouvrage se trouve la représentation la plus connue de la Reine Anne. L’artiste Jean Bourdichon a représenté la Reine en prière, à genoux devant son prie-Dieu, entourée des trois saintes qui symbolisent les trois piliers de la vie d’Anne de Bretagne : Sainte Anne, protectrice de la Bretagne ; Sainte Ursule, patronne de la science chrétienne ; Sainte Marguerite, guidant à Dieu sous l’étendard de la Croix.

En 1505, lors de sa visite en Bretagne, une tradition populaire voulait que la Duchesse Anne se rendit à Saint Jean du Doigt, là où se trouvait la phalange antérieure de l’index de la main droite de Saint Jean Baptiste. La Reine, malade, aurait assisté à la Messe, et se serait fait appliquer la relique sur son œil malade. Totalement guérie, elle aurait ensuite remercié les habitants en offrant une rente annuelle pour aider à achever la construction de la nouvelle église locale, permettant d’accueillir correctement la Sainte Relique. La Duchesse Anne, lors de ces visites en Bretagne, n’oublia pas de soutenir l’édification d’autres églises et chapelles, comme celle de Notre-Dame de Grâces à Guingamp.

Anne de Bretagne, duchesse bretonne

Dans l’ensemble des ducs et duchesses de Bretagne, Anne de Bretagne reste sans aucun doute l’une des plus connues. Née le 25 Janvier 1477, Anne de Bretagne est la fille de François II, dernier duc de Bretagne, et de la princesse de Navarre Marguerite de Foix. La jeune duchesse naît alors dans la Bretagne florissante du XV°Siècle, qui tend à s’affranchir de l’autorité française : si les Ducs bretons prêtaient toujours un « hommage non lige » au suzerain français, ces mêmes Ducs ont pu profiter de la Guerre de Cents Ans pour développer un Etat fort et indépendant.

En ce sens, le Duc breton François II n’a eu de cesse de développer ses alliances. Pour cela, sans héritier mâle, il promit la main de sa fille aînée Anne à plusieurs reprises, à commencer par le prince Edouard de Galles (fils du Roi anglais Edouard IV d’Angleterre) – sauf que celui-ci meurt en 1483.

Cette opposition croissante entre la Bretagne et la France, appelée Guerre de Bretagne, s’échelonnera entre 1461 et 1488, et se terminera avec la défaite bretonne à Saint Aubin du Corbier le 28 Juillet 1488. Suite à cette défaite, le Duc breton François II et le Roi français Charles VIII signeront le 19 Août 1488 le traité de Sablé (aussi appelé « Traité du Verger ») où il sera stipulé l’impossibilité de mariage pour l’héritier du duché sans l’accord du Roi français.

Le 9 Septembre de la même année, le Duc François II meurt d’une chute de cheval : c’est l’avènement de la Duchesse Anne, à peine âgée de 11 ans. Jeune fille cultivée et lettrée, initiée au latin, à la littérature et à l’art, sa garde fut d’abord confiée au Maréchal de Rieux et à Françoise de Dinan. Quelques mois plus tard, le 19 Décembre 1490, la jeune Duchesse est alors promise en mariage au Prince Maximilien I° de Habsbourg, futur empereur du Saint Empire Romain Germanique et alors déjà Roi des Romains.

Pour le Roi Charles VIII, c’est un véritable casus belli, une violation manifeste du Traité du Verger, avec un ancien ennemi de la France – l’encre du Traité de Francfort, signé le 22 Juillet 1489 entre Maximilien I° et Charles VIII, n’est pas encore sèche. La Guerre contre la Bretagne reprend donc en mars 1491. Le siège de la ville de Rennes par l’armée française, la même année, est une véritable épreuve pour la jeune Duchesse : alors qu’elle peut fuir rejoindre son fiancé dans l’Empire Germanique, elle refuse d’abandonner son peuple et accepte, finalement, d’épouser le jeune Roi français (il a 21 ans). Ils se fiancent alors dans la chapelle de Bonne-Nouvelle, et se marieront le 6 Décembre 1491 au Château de Langeais près de Tours, pour « assurer la paix entre le duché de Bretagne et le royaume de France « . La Duchesse de Bretagne est couronnée Reine de France le 8 Février 1492, à peine âgée de 15 ans.

De cette union, naîtront plusieurs garçons, tous morts en bas âge, et le Roi Charles VIII péri en 1498 des suites d’un choc contre le linteau de sa porte…. Veuve à 21 ans, sans enfant, elle redevient pleinement duchesse de Bretagne et souhaite reprendre en main le gouvernement du Duché. Ainsi, lors de sa venue en Bretagne à l’automne 1498, elle restaure la chancellerie de Bretagne, convoque les Etats de Bretagne, fait don à la population d’une partie de l’impôt et fait battre une monnaie d’or à son nom. Elle fonde également l’ordre de la Cordelière en parallèle.

En parallèle, le nouveau Roi de France Louis XII entame une procédure en nullité de mariage avec Jeanne de France, pour être fiancé à la duchesse bretonne. Toutefois, la jeune fille de 14 ans a laissé place à une Reine de 21 ans et les clauses du nouveau contrat de mariage sont clairement différentes : « L’Acte authentique qui réglait le droit public de la province de Bretagne était encore le contrat de mariage de la reine Anne avec Louis XII. Or cet Acte assurait l’indépendance du Duché, car il stipulait formellement que la Reine en conservait personnellement la propriété, et que celle-ci passerait non pas à l’héritier du trône de France, mais au second fils ou fille qui naîtrait du mariage… la pleine propriété revenant aux héritiers naturels de la reine. » [1]

De plus, la jeune Reine se réserve également la jouissance du duché et prévoit qu’après sa mort, celui-ci reviendra à son second enfant mâle et non à l’aîné, assurant ainsi la préservation d’une lignée ducale autonome et donc un duché breton indépendant. Louis XII, Roi bon et aimé du peuple, épouse donc la Duchesse bretonne le 8 Janvier 1499. La Reine se fera à nouveau couronnée en Novembre 1504, à Saint Denis. De ce mariage naîtront deux filles, Claude de France (1499-1524) et Renée de France (1510-1574).

Souvent en période de grossesse, la Reine de France vit principalement au château de Blois tout en suivant avec attention les affaires du Duché breton : Une lettre patente de décembre 1512 conservée dans le fonds du couvent des trinitaires de Sarzeau laisse même transparaître le retour d’Anne de Bretagne aux rênes du duché. Pierre Le Baud, dans son Histoire de Bretagne, raconte même que la Reine Anne fit un « Tro Breizh » pendant trois mois, en 1505.

Epuisée par les grossesses et les fausses couches, touchée par la gravelle, la Duchesse Anne de Bretagne rend son âme à Dieu le 9 janvier 1514, à l’âge de 36 ans, en ayant réussi l’exploit de préserver l’autonomie du Duché breton dans ces temps complexes. La Reine Anne est inhumée dans la nécropole royale de la Basilique Saint Denis : ses funérailles royales durent quarante jours. Selon sa volonté, son cœur a été placé dans un cardiotaphe en or réhaussé d’émail, et sera déposé le 19 Mars 1514 dans la chapelle des Carmes, auprès du tombeau de son père François II.

Le magnifique mausolée à double étage de Louis XII et Anne de Bretagne sera profané à la Révolution française, et leurs corps sera jetés dans la fosse commune le 18 Octobre 1793. Si Alexandre Lenoir sauva en grande partie le mausolée, une partie des corps ne fut pas retrouvé.

[1] Arthur de la Borderie, Histoire de Bretagne, la Bretagne Province : 1515-1715 – Tome 5

A la découverte du journal O lo lê

Si Feiz ha Breizh est sans aucun doute le journal catholique breton le plus connu, le journal illustré O lo lê reste tout de même l’un des grands noms de la presse catholique bretonne. Créé par Herry Caouissin et Vefa de Bellaing, O lo lê (appel que se lançaient les bergers bretons) s’inscrit dans la suite du journal Feiz ha Breiz ar Vugale (Foi et Bretagne des Enfants), publié entre 1933 et 1939, mais fait l’audacieux pari du français pour toucher un maximum de jeunes bretons. Si quelques articles français pouvaient apparaître dans son prédécesseur (notamment sous la plume d’Ermengarde), le choix du français dans O lo lê n’a pas été sans susciter quelques interrogations mais s’avéra un choix judicieux : certains numéros furent tirés à près de 20 000 exemplaires, ce qui est remarquable compte tenu du contexte de la Seconde Guerre Mondiale.

Tout au long des 132 numéros publiés de 1940 à 1944, O lo lê publiera des articles sur l’Histoire bretonne, de Conan Mériadec à la Chouannerie ; sur le patrimoine breton, de Notre Dame du Folgoët aux croix processionnaires de Bretagne ; et sur bien d’autres sujets comme les Saints bretons ou encore les contes et traditions de nos pays. Si la direction rédactionnelle et une partie des illustrations sont parfaitement assurées par Herry Caouissin, de grands noms se succèdent comme Georges Toudouze, Xavier Haas, Etienne Le Rallic, Job de Roincé ou encore Xavier de Langlais. Plusieurs histoires originales y sont également publiées : Les loups de Coatmenez de Jeanne Coroller-Danio, le Navire de Mamm-Goz de Kerwarzin, Faik de Kerloc’h de Georges Toudouze ou encore Gonéri, le filleul de Cadoudal, d’Hervé Cloarec.

O lo lê, en parallèle du journal, se développe également en maison d’éditions, avec la publication d’un certain nombre d’albums destinés aux jeunes bretons, comme Une Grande et Belle Histoire, celle de notre Bretagne, illustré par Étienne le Rallic en 1941, l’Histoire de ma Bretagne d’Herri Caouissin en 1943 ou encore Le mystère du château du Taureau par Job de Roincé, en 1943.

« L’hebdomadaire illustré des petits bretons », dont la devise est Doue ha Breizh (Dieu et la Bretagne), s’arrête une première fois le 28 Mai 1944, un mois après la publication du dernier numéro de Feiz ha Breizh en Avril 1944. Quelques années plus tard, en 1970, Herry Caouissin tenta de relancer l’aventure en publiant l’Appel d’O lo lê, dans la lignée d’O lo lê : bimensuel destiné aux jeunes bretons, les 26 numéros mettent magnifiquement en avant l’Histoire et la culture bretonnes, avec de superbes dessins de Remy Bourlès ou encore Robert Micheau-Vernez. L’Appel d’O lo lê disparaitra à son tour en 1974, sans avoir à ce jour trouvé de remplaçant.

O lo lê, puis l’Appel d’O lo lê, resteront de beaux témoins de cet amour de la Bretagne d’une poignée de courageux, à commencer par Herry Caouissin : que ce soit par la qualité des articles, la beauté des dessins ou encore la variété des thèmes abordés, ces journaux ont su apporter une belle réponse à tous ces jeunes générations qui se demandaient ce qu’était la Bretagne.

Paul Ladmirault, le compositeur breton

Si l’accord entre la musique et la Bretagne se retrouve aujourd’hui principalement dans la musique folklorique, il sût également trouver certains échos dans d’autres types de musiques, à commencer par la musique classique et sacrée. Paul Ladmirault en est l’une des principales figures : né le 8 Décembre 1877 à Nantes, il apprend très tôt le piano, l’orgue et le violon. Composant ses premières œuvres au Collège, il écrit à seize ans son premier opéra, Gilles de Rais, représenté le 18 Mai 1893 à la salle des Beaux Arts de Nantes.

Condisciple de Ravel, Schmitt ou Aubert au Conservatoire de Paris à la fin du XIX°Siècle, il donne en 1903 une Suite bretonne en trois parties, complété par Brocéliande au matin. Il sera par ailleurs récompensé par le Premier prix d’harmonie à l’unanimité au Conservatoire de Paris en 1899. Bretonnant depuis son jeune âge, il reste profondément attaché à sa terre armoricaine, même quand il reste à Paris. Ainsi, en 1912, il y fonde l’Association des Compositeurs bretons, également surnommée « la Cohorte bretonne », dont l’objet est « de provoquer à l’étude et à la diffusion de la musique celtique ; grouper les différents musiciens susceptibles de par leur naissance bretonne de posséder de naturelles affinités ». Il y retrouve d’autres bretons, comme Louis Aubert, Paul Le Flem et surtout Guy Ropartz, l’une des plus grandes figures de la musique bretonne du XX°Siècle.

L’Association n’ayant pas survécu à la Première Guerre Mondiale, Paul Ladmirault revient alors en Bretagne et est nommé en 1920 professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Nantes. Il continue de composer sur différents thèmes, et devient l’un des premiers compositeurs membres du groupe artistique Seiz Breur. Compositeur d’une douceur toute particulière et caractéristique, aux mélodies quasi-mélancoliques, il compose plusieurs morceaux comme Dominical (Suite de cinq mélodies pour quatuor vocal et piano en 1911), Quelques vieux cantiques bretons, Chansons écossaises, Messe Brève (1937) ou encore Prière à Notre Dame. De la Messe Brève de Ladmirault, Mgr Rehmann dira : « Au premier coup d’œil, il était clair pour moi qu’un véritable Maitre, avec une puissance extraordinairement grande, avait créé quelque chose d’adéquat pour le culte divin. » Cette Messe fut écrite, à 60 ans, pour l’ordination de son fils, Daniel.

En 1929, il fonde avec Edouard Guéguen, le Cercle Celtique de Nantes, un des plus anciens cercles de Bretagne, où il dirige la chorale. Discret, il rend son âme à Dieu le 30 Octobre 1944 dans son Manoir de Kerbili en Camoël (Pays Nantais). Florent Schmitt, ami et également compositeur, écrivait à son propos : « de tous les musiciens marquants de la génération qui monte, il est peut-être le plus doué, le plus original, mais aussi le plus modeste ».

« Tout le monde sait que Paul Ladmirault est un musicien de haute classe qui, dès ses premières œuvres, affirma des dons exceptionnels et en particulier une sorte de génie harmonique d’une personnalité et d’une originalité singulières. » Émile VUILLERMOZ

Les représentations de la Sainte Vierge couchée en Bretagne

Les représentations de la Sainte Vierge sont innombrables, et datent du début même du Christianisme. La grossesse de la Sainte Vierge a également été représentée dans l’Histoire, que ce soit par des statues, des peintures ou encore des vitraux. Toutefois, face à des risques de dérives, plusieurs décrets furent publiés à la suite du Concile de Trente, vers 1563 : ainsi, la représentation de la Sainte Vierge enceinte, parfois invoquée sous le vocable de Notre Dame de l’Avent, Vierge de l’attente, Notre Dame la Blanche ou encore la Vierge à l’enfantement, s’est-elle faite un peu plus rare dans l’histoire artistique après ces décrets : « Le saint Concile […] veut qu’on évite toute impureté, qu’on ne donne pas aux images des attraits provocants ».

En Bretagne, il reste plusieurs représentations de la Sainte Vierge enceinte (Virgo paritura), comme celle de l’église Sainte Thumette de Plomeur (29), de la Sainte Vierge couchée comme celles de la chapelle de Kergrist en Plounez, de la chapelle du Yaudet à Ploulec’h (22) ou encore celle de la Chapelle Notre Dame du Guiaudet à Lanrivain. Cette représentation atypique de la Sainte Vierge eut une influence particulière sur la dévotion locale, comme par exemple près de Ploulec’h : « On eut dans tout le pays du Trécor, jusqu’aux monts du Ménez et aux montagnes d’Arrhée, un culte tout spécial de tendresse pour la Sainte Vierge, et le culte de la Sainte Vierge couchée du Yaudet s’étendit bientôt sur tout la zone du Trécor et même jusqu’aux bords de l’Odet, de Quimper et à Douarnenez ».[1] D’autres représentations de la Sainte Vierge enceinte ou couchée peuvent se retrouver en Bretagne, comme sur le Calvaire de Tronöen, sur le tympan du porche de la Basilique du Folgoët ou encore sur le tympan du porche de l’église Saint Salomon à la Martyre (29).

Dans certaines relectures modernes, certains auteurs ont pu rapprocher ces représentations des anciens cultes celtes ; Or, rien n’est plus faux. Non seulement c’est ignorer les autres représentations de la Sainte Vierge parituriente dans le reste de l’Occident au même moment, mais surtout ignorer la place toute particulière de la Sainte Vierge dans la dévotion populaire bretonne au XV et XVI°siècle, à commencer par le développement du pèlerinage à Notre Dame de la Délivrance, à Quintin (22). En Janvier 1600, un terrible incendie y ravagea tout le trésor de la Basilique, à l’exception de la ceinture de la Sainte Vierge.

Une belle représentation de la grossesse de la Sainte Vierge à méditer pendant ce temps de l’Avent, en reprenant si besoin le magnifique Introït : Rorate cæli desuper, et nubes pluant iustum : aperiatur terra, et germinet salvatorem (« Cieux, répandez d’en haut votre rosée, et que les nues fassent pleuvoir le Juste : que la terre s’ouvre et qu’elle enfante le Sauveur »).

[1] Le Yaudet, Abbé Le Clec’h, 1956

Xavier Haas, peintre et graveur

Dans l’histoire des graveurs bretons, Xavier Haas reste l’un des noms les plus connus du renouveau du XX°Siècle, à la suite de Xavier de Langlais et Jeanne Malivel. Né à Paris le 25 Septembre 1907, Xavier Haas perd rapidement son père pendant la première Guerre Mondiale.

D’une petite santé, rapidement atteint d’une poliomyélite à 6 ans, le jeune Xavier passe son premier séjour en Bretagne à Lan Hoëdic, et découvre ainsi pendant son séjour Sarzeau, dans le sud Morbihan, en 1919. Il y fera la rencontre et se liera d’amitié avec un autre graveur célèbre, Xavier de Langlais. Cette amitié se renforcera avec les années, les deux Xavier partageant un amour prononcé de l’art et de la Bretagne, comme le dira plus tard Xavier de Langlais « Sous son apparence frêle, il cachait une âme d’une richesse rare. Son coeur était simple et son affection sûre. Il fut l’ami par excellence. »[1]

Il rejoint l’association artistique Seiz Breur à partir de 1936 à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1937, où il anime avec d’autres artistes bretons la maquette du Pavillon de Bretagne. En parallèle, il participe également à l’animation de l’Atelier Breton d’Art Chrétien dès 1936, où il réalisera notamment l’encadrement des stations du chemin de croix de l’église Notre-Dame de La Baule. En quelques années, Xavier Haas réalisera de nombreuses gravures :

une série de Saints de Bretagne,
une carte de Bretagne,
un programme du Bleun Brug
des illustrations dans les journaux : Ololé, La Bretagne, Sked, Feiz ha Breiz, …
un conte « Lommig », Skridou Breizh, 1943,
l’illustration de « Histoire de Bretagne pour tous » de C. Danio, 1942,
la réalisation avec Herry Caouissin de « Breizh visions d’histoire », Melezour Breizh 1969, ces deux derniers livres furent édités après sa mort.
Le théâtre en langue bretonne eut une place particulière dans son cœur, et il s’y dévoua beaucoup, notamment par la réalisation de maquettes et de costumes de théâtre pour les Bleun Brug de 1937 et 1939. Il rendit son âme à Dieu tout juste âgé de 43 ans, le 13 Octobre 1950, à Paris, loin de cette Bretagne qu’il aimait tant.

[1] Citation issue de l’article disponible sur le site delanglais.fr

Nominoë, Tad ar Vro

**Dans l’Histoire bretonne, quelques grands noms ont traversé les siècles mais peu peuvent se vanter d’avoir eu un impact aussi conséquent pour l’Histoire de la Bretagne que Nominoë, Roi de Bretagne. En 1857, Arthur de la Borderie, référence historique de Bretagne, exprimait aux assises de l’Association Bretonne son « étonnement de ne voir aucun signe rappeler aux générations qui se succèdent le souvenir du grand homme dont la politique et l’épée firent au IX°Siècle de la Bretagne ce qu’elle était encore en 1790 » [1]. De fait, si la statue a bien vu le jour, il a fallu attendre 2018 pour voir enfin l’inauguration du Mémorial Nominoë, à Bains sur Oust. 1167 ans après sa mort… **

Né à l’aube du IX°Siècle dans le Comté de Vannes, Nominoë vient au monde dans une Bretagne au bord de l’effacement. Pépin le Bref avait conquis Vannes en 753, et organisé la première Marche de Bretagne qui regroupait Vannes, Rennes et Nantes. Confiée aux sénéchaux et aux préfets, dont le plus célèbre sera Roland, de la fameuse Chanson du même nom, la Marche de Bretagne sert surtout à la fin du VIII°Siècle de base franque pour les attaques régulières contre la Bretagne.

Ainsi, par sept fois, le Roi des Francs, l’Empereur d’Occident Charlemagne et son fils Louis I°Le Pieux essayeront de soumettre totalement les bretons (786, 799, 811, 818, 822, 824, 825 et 830), avec un succès particulièrement notable de la campagne de 799. Les Annales du Royaume franc indiquent même que « Toute la Bretagne est sous domination franque, ce qui ne s’était jamais produit auparavant ». Les Bretons sont alors partagés entre deux choix : les premiers défendent la réunion de toutes les forces sous l’autorité d’un Roi breton, tandis que les autres tendraient à négocier avec les Francs, se soumettant au pouvoir politique franc pour protégeant la réalité du pouvoir par la noblesse bretonne. La Bretagne tente de s’unifier derrière la bannière du Roi Morvan, mais celui-ci meurt en 818 aux environs de Langonnet, et son successeur Wiomarc’h sera tué quelques années plus tard, en 825.


Dessin de Nominoë – Xavier de Langlais

La campagne de 818 est importante à plus d’un titre : non seulement elle fut réalisée par Louis Le Pieux lui-même, ce qui souligne l’importance de la défense bretonne, mais surtout elle est l’occasion pour le Roi carolingien de renforcer ses liens avec l’Eglise bretonne, par le renforcement de l’Abbaye de Landévennec et le développement d’autres abbayes, comme celle de Redon. Ceux-ci prirent par exemple la règle de Saint Benoit pour se conformer aux désirs de l’Empereur franc…

[1] Nominoë, Roi des Bretons armoricains, Erwan Berthou

Nominoë et l’Eglise

Depuis quelques années, certaines récupérations politiques de la figure de Nominoë ont voulu le présenter comme la consécration de la résistance païenne bretonne face au catholicisme franc, de la victoire du paganisme celte face à la Croix romaine. Or, rien n’est plus faux dès lors que l’on étudie un tant soit peu les relations de Nominoë avec la Foi catholique et l’Eglise, sans compter son conseiller Saint Conwoïon, fondateur de l’Abbaye bénédictine de Redon.

Il est d’abord important de préciser qu’au VII°siècle, « l’épine dorsale de l’église séculière au temps de Nominoë est constituée par les prêtres de paroisse, et par eux seuls. »[1]. Les évêques ont une place particulière dans l’édifice de l’Eglise bretonne : rattachés à l’archevêché de Tours, les évêques ont plus une place politique qu’une place apostolique. Au début du VII°siècle, la plupart de ces évêques bretons sont acquis à la cause franque, notamment à Quimper, Vannes, Saint Pol de Léon et Dol de Bretagne. C’est pour cette raison que Nominoë, en 848, envoie une délégation menée par Saint Conwoïon vers le Pape Léon IV pour lui demander la déposition de certains évêques, et ainsi assurer la pérennité de l’émancipation bretonne. Le Pape lui recommande de tenir un Synode, lui offre quelques reliques de Saint Marcellin, mais ne soutient pas pleinement la demande du Duc breton. De fait, sur conseil de Saint Conwoïon, Nominoë tente alors un coup de force et réunit un concile breton à Coitlouh qui dépose quatre évêques (Susan de Vannes, Félix de Quimper, Salocon de Dol et Libéral de Saint-Pol), et initie les démarches pour « ériger le siège de saint Samson en métropole ecclésiastique de Bretagne. »[2].

On imagine aisément les conséquences de ce coup de force au niveau diplomatique avec le Royaume Franc, l’archevêché de Tours et le Saint Siège, et le nombre de textes écrits à cette époque dénonçant le Duc Breton est assez éloquent. Toutefois, ces démarches montrent certes la volonté politique du Tad ar Vro d’émancipation bretonne, mais surtout l’attachement de Nominoë à la Foi catholique : « Une première constatation doit être dressée avec force : les Bretons de Nominoë sont chrétiens. »1


Sacre de Nominoë, accompagné de Saint Conwoïon

[1] CASSARD, Jean-Christophe. Chapitre 10. L’Église dans le siècle In : Les Bretons de Nominoë [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2003

[2] Pocquet du Haut-Jussé (Barthélemy), Les papes et les ducs de Bretagne, tome I

Inculturation bretonne

Les litanies bretonnes

Notamment chantées lors de la fête de la Toussaint, les litanies des Saints forment des prières très particulières, sollicitant auprès des Saints de Dieu leur intercession pour notre protection et leur bénédiction, tout en gardant en mémoire que « le but ultime de la vénération des Saints est la gloire de Dieu et la sanctification de l’homme, grâce au témoignage de ces vies totalement conformes à la volonté divine, et par l’imitation des vertus de ceux qui furent d’éminents disciples du Seigneur »[1].

Ainsi, il existe de très belles litanies peu usitées dans nos paroisses, à commencer par les litanies du Cœur de Jésus (approuvées en 1891 pour toute l’Eglise), les litanies du Sang du Christ (approuvées par Saint Jean XXIII le 24 Février 1960) et surtout les litanies de la Sainte Vierge, déclinées soit en litanies de Lorette et les litanies pour le rite du couronnement d’une image de la bienheureuse Vierge Marie. Si le Concile de Trente a rappelé les limites du culte des Saints (« dulie ») et du culte de la Sainte Vierge Marie (« hyperdulie »), la Tradition de l’Eglise permet toujours d’invoquer dans nos litanies des Saints les noms de nos Saints bretons, ceux-là même qui intercèdent pour la Bretagne depuis des siècles.

Peu de litanies bretonnes ont pu traverser l’Histoire, mais plusieurs litanies peuvent être citées : les litanies de Sainte Anne, les litanies de Notre Dame de Bretagne, les litanies de Notre Dame du Bon Secours (de Guingamp), les litanies de Saint Yves (de Tréguier) ou les litanies des Saints de Bretagne, par exemple. Ces litanies témoignent d’une ferveur toute particulière, et de l’attachement populaire à l’intercession de ces Saints bretons, et de la place toute particulière de la Sainte Vierge Marie. Avant le Concile Vatican II, un certain nombre de jours d’indulgence partielle était alors accordé à chaque récitation, ou une fois par jour. L’exemple le plus connu en Bretagne est lié aux prières à Sainte Anne, où chaque récitation des litanies à Sainte Anne, tout comme la récitation de la Prière en l’Honneur de Sainte Anne, permettait au fidèle d’obtenir 300 jours d’indulgence (Léon XIII, 20 Mars 1886).

[1] Directoire sur la piété populaire et la liturgie, 2001

A la découverte des Taolennoù, les tableaux de missions

Dans son ouvrage Mellezour an Eneour (Miroir de l’âme), Jean Luis Rozec rappelait : « Ar bobl, end-eeun, a gar deski dre al lagad ha dre ar skouarn. An dud gouiziek kement all, pe n’eo ket gwir ken krenn-lavar ar skiant-furnez : « Eus an diañvaez e teu kement tra a zo er spered » (Le peuple aime, en effet, se servir de l’œil et de l’oreille pour apprendre. Les savants tout autant, si du moins est toujours vrai cet axiome philosophique : « Il n’est rien dans l’intelligence qui n’ait d’abord été dans les sens ») ». Et c’est cet axe d’évangélisation qui fut mis en avant par certains prédicateurs, dans le contexte de Contre-Réforme catholique.

C’est dans ce cadre que l’Abbé Hubby, d’Hennebont, fait réaliser ses premiers tableaux de missions (Taolennoù), de grands « tableaux » peints sur des peaux de mouton ou des plaques de bois, représentant des figures et des symboles, visant à éclairer le croyant sur les préceptes de la religion, sur les devoirs du catholique. Sa prédication s’articulait autour d’une série de douze “ images morales ”, quatre représentant les fins dernières (mort du pécheur, enfer, mort du juste, paradis) et huit cœurs allégoriques.

Ceci inspirera d’autres prédicateurs bretons comme le Vénérable Abbé Michel Le Nobletz, au début du XVII°Siècle. Celui-ci fait également réaliser ses propres « tableaux de missions », plus célèbres encore, qui contiennent parfois des scènes impressionnantes : la carte de la croix par exemple, représente une croix fleurie dont le pied repose sur des fonts baptismaux. De part et d’autre de cette croix, trois chemins différents : deux chemins mènent aux enfers, pour les chrétiens tièdes ou peu courageux et la seule voie de salut, décrite par la carte, est celle où le chrétien porte sa croix. « La « carte de la Croix » ou certaines images de la carte dite « des Cœurs » peuvent en effet se lire comme une traduction en langage populaire des Exercices de Saint Ignace »[1].

[1] Hervé Queinnec, « Le catéchisme mystique de dom Michel Le Nobletz »

Nos Pardons face au défi de l’Evangélisation

La place de la Foi catholique dans la sphère publique est un sujet récurrent au sein des communautés catholiques. En Bretagne plus précisément, cette question englobe même nos Pardons, processions ou encore nos chapelets sur la voie publique. De fait, certains défendent une laïcité stricte, un distinguo quasi-schizophrénique entre la sphère religieuse et la sphère publique, tandis que d’autres témoignent d’un zèle apostolique exalté, suivant l’adage de Saint Cyprien de Carthage « Salus extra ecclesiam non » (« Hors de l’Eglise, point de Salut »). Avec, en toile de fond, une grande problématique majeure : comment répondre, de la manière la plus sainte et bretonne, au devoir d’Evangélisation que le Christ nous a donné : « « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » (Mt 28, 19-20) ?

Devoir d’Evangélisation

En premier lieu, même si la question peut paraître stupide, il faut se poser la question du « pourquoi » : dans notre société aseptisée où la spiritualité doit se faire silence devant l’omnipotente rationalité, la tentation pourrait être grande d’aseptiser l’annonce de l’Evangile, de choisir de se taire pour éviter la contradiction et les coups. C’est d’ailleurs la même question pour la Foi bretonne… Et pourtant, ce serait oublier l’avertissement de Saint Paul : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile! » (1 Co 9, 16). » !
Car le but principal de l’Eglise restant « le salut des âmes et la félicité éternelle » , elle se doit d’avoir recours à toutes les voies d’Evangélisation, de témoignage de la Parole de l’Evangile, pour faire entendre l’appel de Dieu envers tous. Et c’est ici toute la différence entre Evangélisation et prosélytisme, dans son sens étymologique : Le prosélytisme, c’est-à-dire la conversion religieuse ou politique par l’unique raison et la rationalité, n’est intrinsèquement pas catholique – pour nous, la Conversion est « Œuvre de Dieu par la Grâce, car la Foi est un don de Dieu » (Catéchisme de l’Eglise Catholique – 153).

Nos Pardons et processions, au-delà de leur aspect social important, sont d’abord les consécrations historiques et « inculturées » de cette réponse bretonne à l’appel du Christ, par la place centrale de la Messe, de la prière et de nos cantiques. Cette réponse est unique, propre à la Bretagne, et s’inscrit dans une Tradition populaire multiséculaire. En ce sens, réduire nos Pardons à de simples manifestations folkloriques serait passer à côté de leur essence même, et de leur but – les cantonnant au statut de fête de l’amicale locale, sympathique mais complètement stérile.

Noëls en Bretagne

Jusqu’à la fin du XX°Siècle, toutes les régions de France avaient leurs traditions de Noël, ces petites coutumes atypiques et parfois drôles qui réjouissaient les plus jeunes, sous l’oeil heureux des parents et grands-parents qui voyaient non seulement la perpétuation de ces belles traditions, mais également de beaux souvenirs se créer. Aujourd’hui quasiment oubliées, nous vous proposons d’en redécouvrir quelques unes, et pourquoi pas d’inviter nos jeunes générations à les reprendre ?

Calvaires fleuris et paille fraiche

Les petits calvaires étaient autrefois fleuris le soir de Noël, et il était également d’usage de joncher de paille fraîche le pavé de certaines églises. En souvenir de la Crêche ? Ou pour réchauffer les pieds des fidèles ? Dans le Penthièvre, la tradition explique que c’était « pour que le bruit des sabots ne trouble pas le sommeil du Nouveau-Né ».

Les fouaces en forme d’étoiles

Dans le Penthièvre, le Goélo ou encore dans le Pays Nantais, on terminait le réveillon par des fouaces en forme d’étoiles.

Kouignou Pellgent

Dans le Léon, en attendant la Messe de Minuit (Pellgent), on mangeait des gateaux dits « Kouignou Pellgent », encore appelés « Kouignou lêr » (gâteau de cuir) à cause de leur consistance ferme. Chaque convive arrachait sa part au hasard. Celui qui trouvait la fève devait payer le gâteau en entier. Le lendemain, les enfants trouvaient à leur réveil à côté de leur oreiller leur part de Kouign Nedeleg.

Les chanteurs de Noël

En Basse-Bretagne, la veille de Nedeleg, les Noëls étaient chantés par des mendiants devant les portes de fermes. Ils terminaient ainsi : « Kanan Nouel e penn an ti, Eun aval melen a blij din, Eur aval melen pe arc’hant, Pe ar verc’h henan, mar d’eo koant » (Je chante Noël au pignon de la maison, j’aime à recevoir une pomme jaune, une pomme jaune ou de l’argent, ou la fille aînée si elle est jolie !). On faisait alors entrer les chanteurs, et ils recevaient crêpes, pommes ou argent. Ces chanteurs de Noël étaient appelés Stouperien. En Trégor, les Noëls dialogués étaient en honneur. Les voix de jeunes garçons commençaient le Noël par « Petra zo henoaz a neve ? » (Qu’il y a-t-il de nouveau ce soir…).

Des Rogations à redécouvrir !

Rites jadis incontournables de villes, villages et campagnes, les Rogations (du latin rogare, demander) datent de la fin du V°Siècle, lorsque l’évêque de Vienne Saint Mamert confia à Dieu la bénédiction des fruits de la Terre et la protection contre les catastrophes. Il fixa alors les psaumes et prières nécessaires, à appliquer les trois jours précédant l’Ascension. Cette pratique va rapidement se répandre dans toute la Gaule, et c’est par décision du Concile d’Orléans de 511 que cette période de trois jours est officiellement consacrée aux Rogations.

« Dès son origine, cette prière consiste en une procession, c’est-à-dire une marche solennelle accompagnée de cantiques de supplication. Avec le temps, ces processions furent surtout destinées à demander de bonnes récoltes, en y ajoutant comme de manière annexe une protection contre les calamités ou les guerres, qui débutaient souvent au printemps. Prier et faire pénitence à cette époque peut aussi inciter à une véritable tempérance en une saison où le corps veut dominer l’âme du chrétien. » 1

Dans l’Histoire bretonne, ces processions furent extrêmement présentes et suivies par la population jusqu’au XIX°Siècle : dans nombre de paroisses, la semaine précédant l’Ascension, les paroissiens nettoient et élaguent les différents parcours où les porteurs de bannières passeront. Le premier coup d’arrêt des Rogations vient du Concordat : en 1801, sous l’impulsion de Bonaparte qui trouvait que toutes ces fêtes et jours fériés nuisait à l’assiduité au travail. C’est ainsi que l’Article 41 du Concordat posait « Aucune fête, à l’exception du Dimanche, ne pourra être établie sans la permission du gouvernement ». Bien d’autres éléments sociaux, politiques et religieux ont alors fait oublier, progressivement, les Rogations de nos campagnes.

Editorial

Sainteté et beauté

« Le Seigneur demande tout ; et ce qu’il offre est la vraie vie, le bonheur pour lequel nous avons été créés. Il veut que nous soyons saints et il n’attend pas de nous que nous nous contentions d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance. »[1]

Il est parfois complexe aujourd’hui de savoir apprécier toutes ces grâces du quotidien, dans une surmédiatisation des évènements tristes et dramatiques. Géopolitique tendue, contextes sociaux-économiques complexes et difficiles, où certains médias relayent, parfois avec une perversité malsaine, plus volontiers les faits divers morbides que les réussites quotidiennes. Même au sein de l’Eglise, nous pourrions facilement nous sentir déstabilisés par tant de faiblesses humaines, par les dissensions et divergences, les blessures et les imperfections de tous ses membres.

Si notre époque n’est pas idéale – loin de là même -, elle est toutefois loin d’être la pire pour les catholiques : au X°Siècle, c’est par la réforme grégorienne que l’Eglise a pu sortir d’une crise profonde, où la simonie (commerce des biens spirituels) avait touché même les sphères papales (le Pape Benoît IX sera excommunié le 22 Décembre 1046 pour simonie). Aux XV°et XVI°siècles, dans la période qui précède le développement de la Réforme protestante, c’est la suite du grand Schisme d’Occident et le développement commerce des indulgences qui bouleversent l’Eglise. Mais dans ces tempêtes se sont toujours levés ces Saints qui rappelèrent, par leur exemple, toute la force et la beauté de l’amour du Christ. Comme le disait le Pape Saint Pie X dans son Exhortation Apostolique Haerent Animo : « Ayez devant les yeux ces phalanges d’hommes, aussi remarquables par leur nombre que par leurs mérites, qui, à l’imitation des Apôtres, au milieu des opprobres les plus cruels supportés pour le nom du Christ, allaient joyeusement, bénissant ceux qui les maudissaient ».

Ces Saints ont su, dans les moments les plus difficiles, suivre les pas du Christ et témoigner de la plus belle des manières de son amour. Mieux, au sein d’une société meurtrie et déchirée, même face au martyre et à la persécution pour leur Foi, ils restaient confiants dans la puissance de la Grâce de Dieu, et la Divine Providence. Le « cantique sur l’échafaud » du Bienheureux Pierre René Rogue, montant à une mort certaine en 1796, reste d’une rare beauté : « Que mon sort est charmant, mon âme en est ravie ! Je goûte en ce moment une joie infinie. Que tout en moi publie les bontés du Seigneur ».

Même si parfois l’exercice nous paraît complexe, il peut être salvateur de savoir apprécier toutes ces petites grâces du quotidien, tous ces « petits clins Dieu » dont nous sommes comblés, quitte à délaisser momentanément le suivi télévisuel des dernières catastrophes internationales. De fait, au lendemain de la fête de la Toussaint, nos Saints bretons et français sont autant d’appels à apprécier la beauté de la création et à scruter, avec la joie simple de l’enfant comblé, tous ces petits dons de Dieu dans notre quotidien.

[1] Exhortation Apostolique Gaudete et Exsultate, Pape François, 2018

Si tu veux être chef un jour…

« Si tu veux être chef un jour, pense à ceux qui te sont confiés ». Depuis plus de 40 ans, cette magnifique prière de Michel Menu résonne dans le cœur de nombreux chefs scouts. Simple et sobre, elle résume en quelques mots l’essence même d’un chef : être au service, par son exemple, de l’annonce du Christ et du Bien Commun. Être premier n’est donc pas une gloire, un titre venu célébrer la gloriole personnelle, l’accomplissement d’un parcours politique ou social : la responsabilité engage le chef dans son entièreté, dans son humilité, dans ses forces et faiblesses, dans sa prière vers le seul roc qui vaille, le Christ.

« Si tu critiques, ils démolissent. » Il n’y a pas une journée où les médias ne nous présentent pas les dernières saillies politiques, les dernières critiques de personnalités quelconques, les derniers « clashs » à la mode. Les élections sont, dans ce cadre, particulièrement révélatrices : le débat vire souvent au pugilat, à la diatribe et aux invectives infantiles. Quel modèle pour nos jeunes ? Quelle exemplarité pour ceux qui sont appelés à la première place ? Si la société apparaît si divisée, n’est-ce pas – en partie – dû aux exercices réguliers de discorde et déchirures ? « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes » écrivait Bossuet…

C’est en ce sens qu’il est important, parfois, de se rappeler ces figures qui – un temps durant au moins – unifièrent tout un peuple. En Bretagne, plusieurs figures historiques se distinguent, comme Saint Salomon, Saint Judicaël, Alain Barbetorte ou encore Nominoë, Tad ar Vro, pour n’en citer qu’une poignée. Par leurs conquêtes territoriales ou leur défense de la Bretagne, par l’unité bretonne qu’ils ont suscitée ou simplement par les actes historiques qu’ils ont posés, ces quelques Rois ont façonné cette Bretagne que nous aimons tant.

Ces meneurs se sont révélés dans un contexte particulier, et il n’est pas ici question d’en dresser un panégyrique partisan : tous les hommes ont leurs faiblesses et travers, à commencer par Saint Salomon par exemple. Mais tous ces grands noms ont incarné, le moment venu, ce que Michel Menu décrivait : « Si tu marches devant, ils te dépasseront ». L’exemplarité du chef dans l’adversité, qu’elle soit spirituelle ou temporelle, trouve ici toute sa place. Le chef n’est pas au-dessus, ni exempt des contraintes que vivent les autres : il n’a qu’une parole, « sur laquelle les autres doivent pouvoir compter ». C’est peut-être ce qui manque le plus aujourd’hui, dans notre monde de façade et de belles paroles : de vrais meneurs, capables par leur exemple, par leur Foi et leur dévouement, de montrer ce beau chemin que Dieu a voulu pour nous.

Au-delà de ce vœu pour la France et la Bretagne, ces quelques mots « Et si tu pries, alors, ils seront des saints », qui terminent la prière de Michel Menu, restent également une belle invitation pour nous qui avons la grâce d’être parents, de nous rappeler également l’importance de la prière pour la sainteté de nos enfants – mar kar Doue !

L’art breton, l’art d’un peuple

« L’art breton n’est que celui du peuple. […] Populaire, paysan, cet art est en outre, sinon exclusivement, du moins principalement, un art religieux. Il montre d’autant plus de force et d’activité que le sentiment paroissial s’avère plus ardent »[1]

En posant ces quelques mots sur l’art breton, Henri Waquet – archiviste du Finistère pendant plus de 20 ans au début du XX°Siècle – soulignait non seulement la richesse de l’art breton, mais surtout sa singularité, comme un reflet unique de l’âme d’un peuple, dans son apparente rusticité emplie de nuances.

Cet art breton brille d’abord par sa simplicité, son accessibilité au plus grand nombre et l’absence de fioritures : l’ouvrier breton (« celui qui fait l’œuvre » à l’époque), s’il a été formé aux différentes écoles d’art, n’en n’oublie pas son attachement au réel, à l’appréhension de l’œuvre par le plus grand nombre, à l’enracinement de son travail dans le quotidien breton. En effet, à quoi servirait une œuvre que seule une poignée « d’élites auto-proclamées » pourraient comprendre ? Et c’est malheureusement l’un des travers actuels d’une partie des courants artistiques contemporains, où l’œuvre elle-même ne peut être appréhendée sans clé de lecture, excluant d’office l’observateur non averti ou non guidé.

Mais cette apparente simplicité de l’art breton est intrinsèquement liée à l’anonymat des artistes qui, dans l’immense majorité des cas, ne signent pas leurs œuvres. Hormis quelques cas rares aux XIV° et XV Siècles, l’artiste breton reste anonyme, au service de sa paroisse et de sa chapelle, pour y faire resplendir – le mieux possible – la vie du saint local, la Très Sainte Vierge Marie ou la Sainte Trinité. Hérésie pour nombre d’artistes actuels, où leur nom vaut plus que l’œuvre réalisée !

Enfin, cet art breton reste le plus beau témoin du lien consubstantiel entre la Bretagne et la Foi catholique, dans sa construction et dans son identité. Que ce soit dans le polychrome du Jubé du Faouët, dans la finesse des lambris peints de la Chapelle Notre-Dame du Tertre de Châtelaudren ou encore dans les détails de la statue de la Trinité du Psautier du porche de l’église Saint Hilaire de Clohars-Fouesnant, c’est la dévotion de tout un peuple qui a servi de moteur artistique pendant des siècles.

Faisons donc connaître cet art breton malheureusement trop méconnu, redorons son blason parfois trop rapidement présenté comme « rude, simpliste », pour sensibiliser les jeunes générations bretonnes aux richesses de notre patrimoine, et rappeler que « Feiz ha Breizh » n’est pas un simple slogan mais bien un résumé clair de l’identité même de notre Bretagne, qui s’exprime d’une manière toute particulière par son art sacré.

[1] L’Art Breton, 1933, Henri Waquet, Editions Arthaud

L’esprit chouan

Comme souvent, il est bon de faire un pas de recul pour pouvoir poser quelques réflexions sur notre situation actuelle, au regard des leçons de l’Histoire. La Chouannerie, sur ce point, est éclairante à plus d’un égard : bretonne dans son essence, populaire dans sa dynamique, elle a illustré la réponse viscérale d’un peuple face à l’atteinte caractérisée des jacobins aux points non-négociables – leur Foi, leurs prêtres, leur langue, leur culture même.

Loin d’être ces « brigands » que certains ouvrages de l’Education Nationale nous dépeints, ces paysans, agriculteurs et éleveurs, ne sont pas rentrés en résistance par plaisir ou simple esprit belliqueux. C’est parce qu’ils ont considéré que ce coup de force politique était inacceptable, parce que la ligne rouge avait été franchie, parce que le Bien Commun breton, la défense de leur Foi et leur Patrie, la sauvegarde des générations futures, valaient plus que leur simple vie. Et cet esprit chouan nous renvoie aujourd’hui aux vertus théologales, par ce triple exemple de Foi, d’Espérance et de Charité de nos ancêtres bretons.

Exemple de Foi d’abord des prêtres réfractaires qui, même face au risque de déportation et d’exécution, avaient préservé leur première fidélité à Dieu et à l’Eglise au lieu d’une obéissance à la Convention Civile du Clergé. Cet exemple de fidélité des prêtres a trouvé une résonance toute particulière dans la fidélité des chouans qui les protégèrent, en prenant le risque de la clandestinité pour leur Foi – notamment suite à l’interdiction du culte chrétien en Novembre 1793. Demain, si nous étions confrontés aux mêmes risques, serions-nous prêts à mettre nos pas dans ceux des chouans, par fidélité à l’Eglise ? Rien n’est moins sûr !

Mais cet exemple de Foi reste indissociable des exemples d’espérance et de courage, car ce sont ces deux valeurs qui assurent la motivation de la Chouannerie : Doue ha mem Bro, devise des chouans, en représente l’essence même. Dieu premier servi, à tout instant et pour tout, avant même la Patrie bretonne pourtant si chère à leurs yeux. Aujourd’hui, dans notre société, ces deux valeurs ont été majoritairement remplacées par l’individualisme, l’hédonisme et le consumérisme : qui serait prêt à quitter son confort quotidien, ses plaisirs égocentrés et ses loisirs, pour lutter pour une cause, même juste ?

Les chouans l’ont fait, les vendéens également. A la suite du Marquis de la Rouërie, du Chevalier de Boishardy ou de Georges Cadoudal, ils ont fait le choix du Christ et de la rébellion quand la ligne rouge a été franchie. Nous vivons aujourd’hui une autre époque, et il n’est pas à souhaiter que nous ayons, un jour, les mêmes choix à faire – la guerre étant, en tous points, une chose atroce. Toutefois, il est important de se poser simplement cette question de la ligne rouge : quelle limite sommes-nous aujourd’hui en mesure de poser, individuellement, au pouvoir politique en place ? Quel point non-négociable posons-nous, en conscience, aux décisions du système ? Il n’y a pas de bonnes réponses, chacun étant renvoyé à sa propre conscience.

La Foi est Espérance

Avec la parution de ce nouveau numéro de Mai 2022, notre journal fête sa première année complète de parution : Deiz ha bloaz laouen ! C’est l’occasion de tirer une première leçon de cette année complexe mais riche d’enseignements pour ce pari fou de faire revivre cette presse catholique bretonne qui, depuis des dizaines d’années maintenant, s’était éteinte.

A l’heure où le format papier n’est plus en vogue, où la langue et la culture bretonnes sont reléguées au rang folklorique et anecdotique, où la Foi bretonne est conspuée jusque dans nos Paroisses, où les contextes sociaux et politiques sont particulièrement tendus, l’initiative aurait pu très rapidement se solder par un échec cuisant. Et pourtant, notre journal poursuit, doucement mais sûrement, son développement et sa diffusion en Bretagne !

Benoit XVI, dans son Encyclique Spe Salvi reprenait cette épitaphe « In nihil ab nihilo quam cito recidimus » (Du néant dans le néant, combien rapidement nous retombons), pour souligner l’importance de la place du Christ dans toute œuvre, dans toute entreprise. C’est parce qu’elle est au service de l’annonce du Christ, de l’Evangile et de la Foi qu’une œuvre se préserve du néant et de l’abandon, en rappelant que « La Foi est espérance ». C’est en tout cas notre vœu et notre ligne éditoriale, au sein de Kroaz ar Vretoned, que résume notre devise « Doue ha Breizh » !

Cette leçon d’Espérance, dans l’annonce du Christ, résonne particulièrement avec la Sainte catholique que nous avons choisi de mettre à l’honneur ce mois-ci : Sainte Jeanne d’Arc.

Si la Pucelle d’Orléans n’est pas bretonne, elle eut à l’époque l’admiration toute particulière du Duc Jean V et des bretons, et son exemple rappelle qu’aucune situation n’est insurmontable à Dieu, qu’aucune difficulté ne doit altérer notre Espérance et notre Foi.

Comme le disait Mgr Du Bois de la Villerabel dans son ouvrage Sainte Jeanne d’Arc et les bretons (1909) : « Jeanne d’Arc nous crie : qui vive ? Et les Bretons, comme au temps de Jean V, de Richemont, des Laval, de Pierre de Rostrenen, répondent : présents ! Jeanne, la Bretagne toujours chevaleresque et toujours croyante attend ton mot d’ordre ! Tes bretons sont prêts pour la décisive bataille contre l’impiété qui étouffe l’âme de la patrie, debout autour de ton glaive pour lutter, à genoux autour de ton étendard pour prier ! »

Si la Foi de la Bergère de Domrémy a réussi à préserver la France dans des temps extrêmement difficiles, gardons cette Espérance pour notre Bretagne, pour la préservation de la Foi de nos ancêtres, et ce qu’importent les difficultés et les écueils : « L’Espérance nous rend chrétiens ! » disait Saint Augustin !

Cantiques

Petite histoire des cantiques bretons

Ce n’est pas exagéré que de dire que nos cantiques bretons n’ont plus la place, ni la reconnaissance qu’ils avaient pour nos ancêtres. Souvent tombés en désuétude dans nos paroisses, ils sont pourtant des témoins historiques du passé musical breton, avec toutefois cette difficulté supplémentaire par rapport aux arts architecturaux ou manuels : pour vivre, il faut qu’ils soient chantés, entonnés régulièrement pour pouvoir être entendus, connus et transmis aux jeunes générations. Sous peine de tomber dans l’oubli…

Pourtant, l’histoire des cantiques bretons est particulièrement passionnante. S’il est vrai qu’historiquement les offices étaient célébrés en latin, tout comme les prières et les dévotions, les cantiques en bretons sont assez anciens. Les premières collectes de chants traditionnels ayant débuté en 1350, il est assez complexe de trouver des cantiques plus anciens, en moyen-breton, mais il est de coutume de considérer le cantique de Saint Hervé (VI°Siècle), Kantik ar Baradoz, comme l’un des cantiques bretons les plus anciens. Toutefois, comme l’explique Gwenolé Le Menn, les cantiques en moyen-breton sont principalement en vers, avec une technique spécifique bretonne : « Les textes qui nous sont parvenus utilisent une technique poétique attestée de 1350 à 1650 environ, c’est-à-dire pendant trois siècles. […] Tous les vers en moyen-breton, que ce soit dans le théâtre, la poésie, les chants, les inscriptions sur pierre ou sur bois, et évidemment les cantiques, sont ainsi construits. »[1]

Mais c’est surtout dans le contexte de la Contre-Réforme du XVI°Siècle qu’une partie du clergé va essayer de mieux s’adapter aux fidèles, en employant par exemple les langues vernaculaires pour les prédications. C’est ainsi que le Vénérable Michel le Nobletz publia, au début du XVII°Siècle, ses cantiques bretons en mettant des paroles pieuses sur des airs populaires bretons, ce que firent ensuite d’autres prédicateurs comme le Bienheureux Julien Maunoir (Canticou Spirituel – 1658) ou le Père Bernard du Saint Esprit (Doctrinal ar C’hristenien – 1646). Cet emprunt aux airs populaires, s’il n’est systématique, est assez courant pour être noté – ainsi, dans les « Canticou spirituel » (1658), l’auteur précise : « les autres airs sont empruntés des chansons qui se chantent communément en la Cornouaille, désignés en titre de chaque cantique »[2].

Les kantikerien (compositeurs de cantiques bretons) se multiplient au XVIII° et XIX°Siècles, comme Louis Pourchasse (1724-1796), l’Abbé Pierre Nourry (1743-1804), l’Abbé Pierre Le Mouël (1800-1875) ou encore l’Abbé Charles Le Bris (1664-1736), l’Abbé Guillou (1830-1887) et l’Abbé Henry (1803-1880). Les airs sont souvent uniques, avec des modalités particulières : « Le Breton, comme le Basque d’ailleurs, a une prédilection pour le mineur, mais sans la sensible. Le mineur moderne (gamme de la avec fa # – sol #) se rencontre très rarement : Doue en deus bet va c’hrouet, Pec’het am eus. Encore peut-on émettre des doutes sur la présence du dièse, surtout devant le sol. »[3]

Si ces cantiques bretons ont été renouvelés et complétés au cours du XX°Siècle, notamment après le Concile Vatican II par certains kantikerien comme le Frère Seité, Roger Abjean ou encore l’Abbé Job an Irien, l’actuel usage quasi-systématique du français dans nos paroisses et Pardons met en péril ces cantiques bretons, pourtant facette irremplaçable de l’âme bretonne : « Tout comme les chants profanes que sont les gwerziou (complaintes et récits dramatiques) et les soniou (chants d’amour et de fête), les cantiques bretons sont particulièrement bien accordés à l’âme bretonne […]Les cantiques bretons, surtout les plus traditionnels, non seulement ont longtemps traduit la foi des Bretons, mais ils demeurent le vrai miroir de leur âme, par ce qu’ils contiennent de tendresse, de mélancolie, de violence aussi. »[4]

[1] La prosodie des chants en moyen-breton (1350-1650), Gwennolé Le Menn

[2] Histoire de la Chanson populaire bretonne, Patrick Malrieu, 1983

[3] Le Trésor des cantiques bretons, Bleun Brug n°200

[4] F. Morvannou, Kanennoù ar feiz, p. 5-6.

Kantik ar Baradoz

Ce cantique attribué à Saint Hervé, très connu dans nos pays bretons, est souvent repris pour les enterrements ou l’adoration. Une partition complète est disponible sur le lien suivant : https://www.kan-iliz.com/kantik-ar-baradoz-jezuz-pegen-braz/

1 Jezuz, pegen bras ‘ve
Plijadur an ene,
Pa vez e gras Doue
Hag en e garante(z)

2 Berr ‘kavan an amzer
Hag ar poanioù dister
O soñjal deiz ha noz,
E gloar ar baradoz.

3 Pa sellan en Neñvoù,
Etrezek va gwir vro,
Nijal di a garfen
Evel ur goulmig wenn.

5 Gortoz a ran gant joa
An termen diwezhañ,
Mall am eus da welet,
Jezuz, va gwir bried.

Jésus ! combien est grand
Le bonheur des âmes,
Quand elles sont devant Dieu,
Et dans son amour !

Je trouve le temps court,
Et légères les peines,
En songeant nuit et jour
A la gloire du Paradis.

Quand je lève les yeux vers le ciel,
Vers le ciel ma patrie,
Je voudrais y voler
Comme une petite colombe blanche.

J’attends avec joie
Le dernier passage,
J’ai hâte de voir Jésus,
Mon véritable époux.

O Elez ar Baradoz

Ce cantique est repris régulièrement dans les paroisses du Sud finistère : les textes sont issus de l’ouvrage Kantikou Brezoneg, a viskoaz hag a vremañ. Une partition est disponible sur le lien suivant : http://per.kentel.pagesperso-orange.fr/kantikou/kantig_war_ar_gomunion1.htm.

Mari, gwir Vamm da Zoue, Mari, va Mamm dener, Va zikourit da reseo ho Mab ha va Zalver; Me ne d-oun, siwaz ! netra, netra ‘vid e gared, Med ennoc’h am eus fiziañs, o va Mamm benniget.

O Elez ar baradoz, sellit war an aoter, Ha gwelit pebèz enor a ra deom or Zalver: Eur wech evid or prena eo bet en em c’hreet dén, Ha bemdez ‘vid or maga euz an neñv e tiskenn.
Krouer an neñv, an douar, Doue oll-c’halloudeg, A ziskenn war an aoter dre gomzou ar beleg; Eun Doue kalz uhelloc’h eged an oll stered, Dindan spesou ken dister a zo ‘n em izelleet !

Marie, vraie Mère de Dieu, Marie, ma tendre Mère, aidez-moi à recevoir votre Fils et mon Sauveur ; Moi, je ne suis rien, rien que péché ; Mais en vous je mets ma confiance, ô ma Mère bénie.

1.Anges du paradis, regardez vers l’autel ;
Voyez quel honneur nous fait le Sauveur :
Une fois, pour nous sauver, il s’est fait homme ;
Chaque jour, pour nous nourrir, il descend du ciel

  1. Créateur du ciel et de la terre, Dieu tout-puissant, Vous descendez sur l’autel à la parole du prêtre ; Un Dieu qui règne au-dessus de toutes les étoiles, S’abaisse à venir sous une si pauvre apparence !

Alleluia, Inour de Zoué !

Ce cantique, typique du Diocèse de Vannes, est idéalement chanté en entrée pendant toute la période pascale. Merci au site Kan Iliz d’avoir mis ce cantique en ligne, sur ce lien.

Alleluia ! Inour de Zoué

Kãnam ihuél ged leùiné :

Deit é Jézus biù ag ar bé !

1-D’er sul vitin de holeu dé,

An disipled lan a dristé

E dostas de wéled er bé. Alleluia

2-Mari-Madelén, Salomé,

Hag un arall eùé geté

E zas eid baumein korv Mab Doué. Alleluia

Alléluia ! Honneur à Dieu

Chantons haut avec joie :

Jésus est sorti vivant du tombeau !

Le dimanche matin, à l’aube,

les disciples pleins de tristesse

approchèrent du tombeau.

Marie-Madeleine, Salomé,

Et une autre avec elles,

Vinrent embaumer le Corps du Fils de Dieu.

Pegen kaer ez eo Mamm Jezuz

Ce cantique à la Sainte Vierge a notamment été repris dans l’ouvrage des Cantiques Bretons par le Père Abjean en 1983, mais on retrouvait déjà ce cantique dans le Kanaouennoù ar Bleun Brug de 1923.

Pegen kaer ez eo Mamm Jezuz,
Pegen dous ha trugarezuz,
Pegen mad ha madelezuz !

Lavar din-me, den an Arvor,
Ha ken kaer eo da vag war vor
Gand he goueliou gwenn-kann digor ?

Lavar din-me, den an Argoad,
Ha ken kaer deliou glas ar hoad,
Pa zeu eur bann-heol d’o skleraad ?

R/ Qu’elle est belle, la Mère de Jésus ! Qu’elle est douce et miséricordieuse, qu’elle est bonne et compatissante !

Dis-moi, homme de l’Arvor,
est-elle aussi belle, ta barque sur la mer,
avec ses voiles blanches ouvertes ?

Dis-moi, homme de l’Argoat,
est-elle aussi belle, la verdure des bois,
éclairée d’un rayon de soleil ?

Bretons dans la Cité

Retraites, subsidiarité et travail

Sujet récurrent, complexe et sensible pour toute la population française, l’âge légal de départ à la retraite fait à nouveau débat depuis début Janvier. Le gouvernement du Président Macron a, en effet, entamé le long chemin législatif pour ancrer dans le marbre plusieurs évolutions majeures, à commencer par le passage de l’âge de 62 ans à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation, qui fera passer en 2027 à 43 ans de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein.

S’il est évident que les manifestations de protestation vont se multiplier, il peut être intéressant de faire un pas de recul sur la situation, non pas pour donner une solution toute faite mais pour souligner quelques points parfois trop vite oubliés. Trois points d’ancrage principaux se distinguent : le principe de retraite par répartition, le droit au repos et l’âge légal de départ.

Dans un système de retraite par répartition, les cotisations des actifs sont directement utilisées pour payer les pensions des retraités, ce qui induit une double dépendance intergénérationnelle : par la quantité d’actifs, mais aussi par leur niveau économique. Logique : si le nombre d’actifs n’est pas suffisant pour subvenir aux cotisations des retraités, les cotisations auront une tendance à augmenter en proportion (soit en âge, soit en taux) pour pouvoir tenir. Sauf que cette réalité économique se heurte de plein fouet à deux écueils sociaux : l’absence de subsidiarité économique, et la dépréciation du travail en France.

L’absence de subsidiarité économique se manifeste par l’unicité de la caisse de cotisation (le même « pot commun »), et l’unicité de l’âge légal de départ à la retraite. Ainsi, les spécificités et particularités des métiers ne sont que très partiellement pris en compte : les déficits des uns sont compensés par l’excédent des autres, sans responsabilité sur ce déficit ou valorisation de l’excédent, qui au final sert aux retraites des autres. Ainsi, non seulement le salarié ne cotise pas pour sa propre retraite (contrairement au système de retraite par capitalisation), mais doit accepter qu’un âge légal, uniquement calculé sur des réalités économiques, s’applique à ses réalités sociales. Face à ce constat, l’appel de l’Eglise sur le développement des associations professionnelles peut trouver un écho particulier : pourquoi ne pas envisager des caisses de retraites par métiers/professions, où l’actif cotiserait pour la profession et selon des critères qui seraient propres à sa profession/métier ?

Mais le principal écueil aujourd’hui est la dépréciation générale du travail, qui n’est plus vu comme « opus humanum » mais « opus servile »[1]… Pourtant, « Le travail est un droit fondamental et c’est un bien pour l’homme: un bien utile, digne de lui car apte précisément à exprimer et à accroître la dignité humaine. Le travail est nécessaire pour fonder et faire vivre une famille, pour avoir droit à la propriété, pour contribuer au bien commun de la famille humaine. »[2]. Aujourd’hui présenté comme une charge pénible dont on se débarrasse au plus vite, le travail n’est plus valorisé, contrairement à l’individualisme consumériste. Et il devient alors évident que dans cette grande équation sociale, il est particulièrement complexe d’allonger unilatéralement un âge légal de départ à la retraite, pour des actifs qui n’aspirent qu’à arrêter de travailler, qui cotisent pour les retraites des autres, et sans aucune prise en compte des spécificités de leur métier.

[1] Compendium Doctrine Sociale de l’Eglise – Point 265

[2] Compendium Doctrine Sociale de l’Eglise – Point 287

Lex Orandi, Lex Credendi

L’adage « Lex Orandi, lex Credendi » (La loi de la prière est la loi de la Foi) est sans aucun doute l’un des plus connus du Catéchisme de l’Eglise Catholique. Attribuée au disciple de Saint Augustin, Prosper d’Aquitaine vers 390-455, cette formule était déjà connue des Pères de l’Eglise, qui l’utilisaient notamment pour souligner l’importance de la compréhension des mots, pour le bienfait spirituel de la participation à la liturgie. L’actuel Catéchisme de l’Eglise Catholique développe l’adage ainsi : « La foi de l’Église est antérieure à la foi du fidèle, qui est invité à y adhérer. Quand l’Église célèbre les sacrements, elle confesse la foi reçue des Apôtres. La loi de la prière est la loi de la foi, l’Église croit comme elle prie. ».

De ces éléments complémentaires, deux points peuvent ainsi être soulignés : En premier lieu, la Foi de l’Eglise est antérieure à celle du fidèle, ce qui sous-entend que les sacrements et plus largement encore les rites sacramentels, n’ont pas à s’adapter au bon vouloir du fidèle, en fonction du contexte sociétal, économique ou politique. Ce point a été particulièrement été mis en lumière dans le cadre du récent Synode sur la Synodalité par exemple, où un grand nombre de fidèles se sont ainsi permis d’émettre des opinions et critiques sur les rites sacramentels, que ce soit sur l’ordination (comme en Suisse ou aux Etats Unis en 2022), sur l’Eucharistie ou même sur la Confession. Ce à quoi l’Eglise répond : « Parce que les actions liturgiques ne sont pas des actions privées (…) leur discipline dépend uniquement de l’autorité hiérarchique de l’Église (…). C’est pourquoi il n’est permis à personne, même au prêtre, ni à un groupe quelconque, d’y ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit de son propre chef.»[1].

Il a toujours été dans les tentations humaines de vouloir adapter les rites et sacrements aux contextes et évolutions : le Bienheureux Julien Maunoir ou le Vénérable Michel Le Nobletz ne s’étaient-ils pas déjà élevés face aux dérives observées pendant les Pardons bretons ? Saint Melaine n’avait-il pas dû intervenir au V°Siècle face aux dérives des prêtres Lovocat et Catihern ? Aujourd’hui, à l’heure où la Catéchèse n’est qu’imparfaitement transmise aux jeunes générations dans la plupart des cas, la dérive peut être facile, inconsciente mais profondément dramatique. D’où une attention sans cesse nécessaire des catholiques fidèles à la préservation des rites sacramentels dans nos paroisses !

Dans un second temps, l’adage « Lex Orandi, lex Credendi » rappelle que l’Eglise croit comme elle prie, et le Pape Benoit XVI complétait : « La foi apprend aussi à nous agenouiller. C’est pourquoi une liturgie qui ne connaîtrait plus l’agenouillement serait intrinsèquement malade. Il faut réapprendre à nous agenouiller, réintroduire l’agenouillement partout où il a disparu, afin que, par notre prière, nous restions en communion avec les apôtres et les martyrs, en communion avec le cosmos tout entier, en union avec Jésus-Christ »[2]. Ainsi, pourquoi ne pas reprendre cette belle habitude de s’agenouiller face au Christ lors de nos Messes, lors des moments d’Adoration ou pendant nos Pardons, à la suite des bannières qui auraient – elles aussi – le soin de montrer leur dévotion par l’abaissement traditionnel ?

[1] Sacrosanctum concilium, Saint Jean Paul II

[2] Benoît XVI, L’Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001.

Educare et educere

« La famille « constitue une communauté d’amour et de solidarité, apte de façon unique à enseigner et à transmettre des valeurs culturelles, éthiques, sociales, spirituelles et religieuses essentielles au développement et au bien-être de ses propres membres et de la société ». En exerçant sa mission éducative, la famille contribue au bien commun et constitue la première école de vertus sociales, dont toutes les sociétés ont besoin. »[1]

Le terme « d’éducation » reste aujourd’hui – trop – souvent résumé à la simple assurance, par les parents, de la transmission des règles de savoir-vivre de bases et de la ration quotidienne pour les jeunes enfants. L’instruction quant à elle, bien distincte, issue de « instruere » serait quant à elle l’ensemble des connaissances fournies par l’Etat, par le biais de l’école, collègue et lycée, sans droit de regard des parents. Cette dichotomie, partielle et partiale, tend à opposer les deux faces où les parents ne seraient réduits qu’à la subsistance physique du jeune, tandis que l’école veille à la constitution même du futur citoyen.

Or, c’est oublier le rôle de « premiers éducateurs »[2] des parents et, plus largement encore, de la famille. Ce rôle d’éducation, essentiel, se veut double : éduquer au sens educare, à savoir « former l’esprit de quelqu’un, développer ses aptitudes intellectuelles, physiques, son sens moral. » mais surtout educere (tirer de) : «L’amour des parents, en se mettant au service des enfants pour les aider à tirer d’eux le meilleur d’eux-mêmes ». Dans le sens educare, il est donc du rôle des parents de s’assurer non seulement de la bonne croissance et santé de l’enfant, mais également de la formation morale, intellectuelle et religieuse reçue par l’enfant, pour en faire in fine un adulte droit et responsable au sein de la Société, un « citoyen » dans le sens le plus sain du mot. L’instruction est alors ici à comprendre comme une délégation partielle de l’éducation parentale, pour que l’enfant puisse recevoir l’ensemble des connaissances nécessaires à son épanouissement futur d’adulte. Ainsi, la volonté, ancienne mais toujours d’actualité, de l’Etat de vouloir s’accaparer l’ensemble de l’Education Nationale reste donc non seulement immoral, mais surtout injuste : « Quand l’État revendique le monopole scolaire, il outrepasse ses droits et offense la justice. »[3]

Car l’enfant doit surtout être éduqué au sens d’educere, c’est-à-dire être tiré vers le haut, que ce soit au niveau intellectuel, social et moral. Ici, c’est donc bien une éducation « intégrale » de l’enfant qui doit être idéalement visée, où les vertus et l’intellect, la droiture, la justice et la charité sont équitablement transmises par un amour infini des parents, en gardant en paradigme éducationnel que l’enfant reste un adulte en devenir, dans sa liberté la plus complète. C’est parce qu’elle s’appuie sur l’amour parental et conjugal, socle de la famille, que cette éducation intégrale ne peut être assurée par l’Etat. Et aujourd’hui, à l’heure où l’instruction familiale est fortement remise en cause par l’Etat, à l’heure où l’égalitarisme lutte toujours comme l’école privée, il est essentiel de se rappeler cette double vocation de l’éducation de nos jeunes.

[1] Compendium Doctrine Sociale de l’Eglise – Point 238

[2] Compendium Doctrine Sociale de l’Eglise – Point 240

[3] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instr. Libertatis conscientia

La famille, socle de la Politique naturelle

La notion de « Politique Naturelle » peut paraître un peu pompeux et complexe, mais elle peut se résumer simplement à un point précis : sur quel socle social, humain et philosophique repose l’ensemble de l’édifice politique ? Sur quelles lois « naturelles », c’est-à-dire ancrées dans la nature même de l’homme, repose l’édifice politique ?

Le sociologue Frédéric Le Play écrivait en 1881 dans la Constitution essentielle de l’humanité : « Au sortir de son enveloppe natale, le petit de l’abeille, guidé par l’instinct, prend son vol et entreprend sans hésitation la récolte nécessaire à la communauté. Il n’en est pas de même pour l’homme. L’enfant reste longtemps incapable de subvenir à ses propres besoins. Il n’est pas seulement inutile à sa famille ; il est à la fois une charge et une gêne pour sa communauté naturelle : car il y apporte, dès sa naissance, des ferments d’indiscipline et de révolte. ».

En premier lieu, ce nouveau-né est donc accueilli, nourri, choyé dans la première cellule familiale : il y est gratuitement protégé et éduqué sans aucune réciprocité. Sa faiblesse, propre à son état, induit une dépendance à l’autre, pour son propre bonheur.

En grandissant, cet enfant se forgera sa propre raison et volonté mais restera toujours dépendant des bienfaits sans réciprocité de ces cercles, familles, communautés et in fine, Etat, c’est-à-dire le plus vaste cercle qui reste concret, accessible et pertinent. Il n’y a donc pas d’égalité « naturelle » dans ce rapport à l’autre, mais bien une « inégalité protectrice » : l’égalité « par essence » n’est par conséquent pas intrinsèquement un idéal sain, et pourrait être catastrophique si elle était appliquée unilatéralement, comme on peut le voir parfois aujourd’hui.

Et cette « inégalité protectrice » au niveau social n’est rendu possible qu’avec l’indispensable « égalité en dignité », comme le rappelle le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise « Seule la reconnaissance de la dignité humaine peut rendre possible la croissance commune et personnelle de tous »[1]. Cette dépendance relative du plus faible n’est, in fine, qu’un appel au développement de la subsidiarité, c’est-à-dire au rôle de soutien du cercle plus large jusqu’à l’épanouissement et l’autonomie même de l’individu ou, dans le cadre étatique, du cercle plus restreint. En clair, c’est une dénonciation par l’exemple de l’individualisme libéral, qui tendrait à rendre l’individu auto-suffisant, en souhaitant gommer cette interdépendance pour y consacrer un consumérisme nihiliste.

Ce qui nous mène au second point : le nouveau-né n’a pas de volonté, morale, éthique, choix politique ou action spécifique. Il n’est que l’expression de ses besoins primaires, et sera dès lors soumis à l’autorité bienveillante, mais ferme, du cercle familial en compensation de sa protection et sustentation. Il n’y est donc pas ici question d’égalité entre le cercle et l’individu, ou de liberté innée et totale qui serait propre à la nature humaine : le nouveau-né, l’enfant, n’est pas « libre et l’égal en droits » de l’adulte accompli, contrairement à l’idée rousseauiste et ce, pour son propre bien. On peut, par exemple, penser aux droits de vote, de conduite, de travailler, etc…

Et tout en se sensibilisant à cet Ordre naturel, base de cet esprit social que certains résument sous l’insipide vocable « vivre-ensemble », le jeune enfant voit ses libertés se développer en lien avec ses capacités et, plus encore, avec ses responsabilités. C’est toute la pensée de Saint Augustin ou Saint Thomas d’Aquin qui, reprenant Platon notamment, développait cet axiome « est libre celui-ci qui, grâce au savoir du bien humain, est maître de lui-même ». Cette Loi naturelle, complété par la subsidiarité, est de fait en complète opposition avec le Libéralisme politique et économique, qui tend à affranchir les cercles inférieurs du soutien et ordre des cercles supérieurs, poussant l’individu à l’isolement et donc à la fragilité et à l’avilissement (cf. fable des abeilles de Mandeville). La liberté totale étant fixée sur l’individu en tant qu’entité finie, sa responsabilité – morale, politique, sociale ou même légale – devant à tout prix être gommée, pourquoi tendre au « meilleur », à la vertu et à l’éthique contraignantes ? Une nouvelle fois, c’est ce que l’on voit tous les jours en France.

Enfin, le jeune breton, le jeune français s’inscrit dans un héritage particulier : il a, sans le savoir ni le comprendre sur le moment, la responsabilité de perpétuer ce magnifique patrimoine, de l’embellir, de le compléter si besoin. En clair, il reçoit un bouquet qu’il devra compléter avant de le transmettre à son tour aux jeunes générations suivantes.

C’est cet héritage qui l’inclut dans un Tout plus grand, une Patrie, et qui pousse à l’édification sociale, et non un pseudo-contrat social qui, du jour au lendemain, ferait passer l’homme de son état naturel (bon selon Rousseau) à un état social contractualisé. En se basant sur l’analogie de l’abeille de Le Play, c’est se tromper non seulement dans le postulat initial, mais également dans l’analyse qui en découle : non seulement l’individu s’élève par les inégalités protectrices, par cette dépendance bienfaitrice et saine subsidiarité, mais ce nouveau français s’inscrit dans une dynamique nationale par l’appréhension des contraintes édificatrices et surtout par l’héritage transmis selon la Tradition, posant ainsi les bases du « devoir d’héritier » de chaque français, de chaque breton.

Dans cet ensemble social, la famille apparait donc comme un élément essentiel de l’édifice politique : première cellule où la jeune génération s’épanouit, la famille a la lourde responsabilité d’en faire un vrai citoyen – dans le bon sens du terme – et un adulte accompli. C’est pour cette raison que la famille repose sur un sacrement essentiel, le mariage. Socle de la famille, socle du couple, engagements forts des époux, il a cette double responsabilité d’assurer la stabilité familiale et la protection des jeunes enfants. C’est en ce sens que la défense de la famille, de l’éducation parentale, ne peut être séparée de la défense du mariage et de sa place essentielle dans l’édifice social.

[1] Point 145 du Compendium

Le Catéchisme de l’Eglise, bientôt anticonstitutionnel ?

A l’heure actuelle, la constitutionnalisation de la loi sur l’Interruption Volontaire de Grossesse, initiée le 7 Octobre 2022 par la Proposition de Loi Constitutionnelle 293, suit toujours son parcours législatif. Validé avec une écrasante majorité des députés le 24 Novembre (337 voix pour, 32 contre), le texte doit maintenant passer son examen auprès du Sénat qui, le 19 Octobre, avait déjà rejeté une proposition similaire déposée par l’écologiste Mélanie Vogel. La droite du Sénat aurait donc, apparemment, un peu plus de respect pour la Vie à naître que la droite de l’Assemblée Nationale. Toutefois, si ce texte venait à être adopté, qu’elles seraient les conséquences pour ses contradicteurs, pour tous ceux qui s’opposent à ce « droit » à l’interruption volontaire de grossesse ?

La proposition de l’écologiste Mélanie Vogel se résumait dans un nouvel article 66-2 dans la Constitution : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. » Cette mention, probablement proche du texte potentiellement adopté, pose un grand nombre de questions : l’opposition, claire, franche et limpide, de l’Eglise à toute forme d’avortement direct[1] pourrait-elle être assimilée à une atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse ? Quelle place pour la défense de la Vie, au lendemain de l’ajout de cette mention dans la Constitution d’un Etat ?

Par la justification constitutionnelle, ce serait un renforcement de l’application de l’article L2223-2 du Code de la Santé Publique, condamnant à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende toute entrave, y compris morale, à l’interruption volontaire de grossesse. Ainsi faut-il comprendre, dans ce contexte de couperet judiciaire, le positionnement des communiqués de la Conférence des Evêques de France, notamment celui du 9 Décembre qui rappelle ces quelques phrases tirées de l’Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium « cette défense de la vie à naître est intimement liée à la défense de tous les droits humains. Elle suppose la conviction qu’un être humain est toujours sacré (…) dans n’importe quelle situation et en toute phase de son développement. (…). Si cette conviction disparaît, il ne reste plus de fondements solides et permanents pour la défense des droits humains, qui seraient toujours sujets aux convenances contingentes des puissants du moment. »

L’axe choisi est celle de la fermeté sans attaque frontale, un compromis juste qui permet de rappeler l’évidente défense de la Vie à naître sans tomber sous le coup de la Loi. Toutefois, cette ligne du compromis se complexifie quotidiennement, et la fenêtre d’expression se réduit jour après jour, contrainte par la force légale à choisir entre le silence ou la condamnation judiciaire. Le 11 Novembre, le Diocèse de Saint Dié des Vosges, en condamnant le prêtre ayant – pourtant justement – parlé des millions de morts de l’avortement, a choisi d’apaiser les choses, en évitant le conflit ouvert par la sanction du prêtre. Ce cas, loin d’être anecdotique, demeure représentatif de la dynamique actuelle, où nous nous acheminons lentement vers un temps où l’Eglise de France devra faire un choix, entre la légalité et la Vérité, entre la défense de la Vie et la structure organisée du péché, inscrite dans la Constitution.

Préservons nos églises !

Lors du conseil municipal de Douarnenez du 22 Septembre, des élus d’opposition se sont emportés face au coût d’entretien des édifices religieux, proposant d’en vendre une partie pour réduire ces coûts d’entretien. Ce phénomène reste rare en Bretagne, mais pas en France : depuis quelques années maintenant, des chapelles et églises sont régulièrement vendues et cette dynamique tend même à s’accentuer avec les baisses des dotations étatiques. En Bretagne, on peut citer par exemple la vente récente de la Chapelle de Notre Dame du Bon Secours par la municipalité de Rennes, la chapelle du Grand Séminaire de Quimper, la chapelle de Koh Coët de Guénin, etc…

Si certaines associations se battent pour préserver ces bâtiments, comme l’œuvre de Saint Joseph par exemple, le débat a toujours cours, même au sein de l’église : face à la désaffection de ces bâtiments par les fidèles, certains catholiques acceptent volontiers l’argument économique de l’impossible « tonneau des danaïdes », pour accepter de vendre à l’encan ces chapelles et églises bâties par nos ancêtres.

Mais il faut reprendre ces quelques mots du poète Auguste Brizeux pour saisir l’importance de ces bâtiments : « Les bruyères sont belles, Nos yeux s’ouvrent plus grands aux aspects du pays, Plus fervents nous prions sur le sol des chapelles, Nous allons plus joyeux sous l’ombre des taillis. Ô poète rustique, ô poète sincère, Sois heureux de ta coupe et redis en tout lieu, Ce vers qui soutiendra souvent notre misère, Aimons notre pays et surtout aimons Dieu! »[1]

Ces chapelles et églises ne sont pas des bâtiments anodins : ils sont les témoins historiques de l’âme bretonne, ce patrimoine bâti par la ferveur bretonne et reçu en héritage par les jeunes générations qui ont l’impérieux devoir de le protéger, de l’enrichir et de le transmettre à leur tour, comme l’écrivait Ernest Renan dans son Discours : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »[2]


[1] La Fleur d’Or, Auguste Brizeux

[2] Qu’est-ce qu’une Nation ? 1882

Préserver le sacré

Le Jeudi 13 Octobre dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour une peine prononcée en 2017 suite à l’exhibition d’une militante féministe, dans l’église de la Madeleine en décembre 2013. La militante avait procédé alors à un simulacre d’avortement près de l’autel et uriné sur les marches jouxtant l’autel, mais la CEDH a estimé que la condamnation française était « disproportionnée », « En l’espèce, l’action de la requérante […] avait pour seul objectif de contribuer au débat public sur les droits des femmes ». Vision particulière du débat donc à la CEDH, où l’argument intellectuel se jauge en foie de veau – ce qui nous fait alors relativiser la médiocrité de certains échanges politiques à l’Assemblée Nationale.

Au-delà de la mauvaise foi flagrante de cette décision, il y a d’abord le soufflet politique et juridique infligé à la France, en tant qu’Etat de droit. Ici, le jugement français n’est pas seulement balayé ou cassé, il est condamné : l’Etat de droit est remis en cause dans son fondement même, car c’est la Justice française qui devient dès lors coupable. S’il est possible parfois de voir des revirements entre requérants et accusés, il reste extrêmement rare de voir l’organe décisionnel lui-même être condamné pour avoir exercé son droit de Justice, en ses compétences et prérogatives premières.

La première des conséquences de cette décision européenne reste donc la fragilisation, profonde car devenue habituelle, de la force de la justice elle-même. C’est toute l’importance du principe d’équité et de respect, dans l’équilibre précaire des Règles de Droit. Bafoués par l’application hors-sol d’un Droit européen, il confirme cet adage qu’écrivait déjà Cicéron « summum ius, summa iniuria » (Droit extrême, suprême injustice). Si Montesquieu l’avait uniquement interprété dans son sens rigoriste (Traité de la théorie politique de 1748), l’adage reste vrai dans son côté laxiste et permissif.

Car c’est la seconde conséquence de cette injustice : protégés par un droit qui reconnaît, de facto, l’ignominie comme acceptable au sein même des édifices sacrés, les outrecuidants n’auront qu’une considération secondaire pour le droit français, secondaire également face au droit européen. Ce constat se confirme davantage chaque année, où le nombre de dégradations, atteintes aux églises et édifices religieux augmente continuellement, sans conséquences pour leurs auteurs. Face à cette dynamique, il n’est pas rare aujourd’hui de voir, lors des manifestations religieuses, de jeunes paroissiens organisés en services d’ordre pour protéger l’essentiel, à savoir la Sainte Hostie si elle est présente, les reliques de nos Saints et les fidèles. Si cette responsabilisation des paroissiens peut, d’un certain côté, être saluée, elle reste un palliatif imparfait à un Etat de Droit sans force face aux véhémences anti-chrétiennes, ce qui confirme l’aporie de Pascal : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La juste sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants. ».[1]

[1] Pascal, Pensées, 1669

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