C’est une nouvelle inattendue de cette année 2022 : un groupe breton, Alvan & Ahez, représentera la France au concours international de l’Eurovision. Sous les cris d’orfraie des jacobins parisiens, le jeune groupe, composé de trois chanteuses Ahez associées pour l’occasion à l’artiste rennais Alvan, s’est tout de suite réjoui de pouvoir porter haut les couleurs de la Bretagne, et a – dans la foulée – refusé la demande de traduction française de son titre Fulenn.
Cette chanson s’inspire directement de la légende catholique bretonne de Katell Gollet, Catherine la damnée, qui fut reprise dans une gwerz du Père Julien Maunoir au XVII°Siècle (vers 1640). Symbole catholique, symbole historique et symbole breton, l’histoire de Katell Gollet est celle d’une belle jeune femme qui avait délaissé toute piété et crainte de Dieu pour lui préférer le plaisir, les fêtes et la débauche : « la danse était sa vie ». Avertie à de nombreuses reprises de son état de péché grave et que seule une confession sincère pourrait la sauver, elle s’y opposa et un soir où elle s’était enfuie avec son serviteur Salaün pour aller danser, elle se fit piéger par le diable lui-même et mourut, épuisée. « Il y a peu d’années encore, quand les prédicateurs bretons se servaient de tableaux sur châssis volant où les sept péchés mortels étaient représentés par des animaux, l’orgueil par un paon, la gourmandise par un cochon, etc. etc., c’était Catel-gollet qui, de temps immémorial, dans ces naïves figurations, symbolisait la luxure. »[1]
Une chanson donc sur les légendes bretonnes, interprétée en breton, face à des millions de spectateurs internationaux : une bonne nouvelle donc pour la reconnaissance de la spécificité de la langue bretonne, et un bon signal envoyé à tous ceux qui y voyaient une anecdote linguistique à balayer. Et il faut noter qu’en conservant la langue bretonne pour dépeindre cette légende de notre pays, le groupe Alvan & Ahez préserve également la cohérence de l’ensemble, propre à l’Histoire et à la Tradition bretonne.
Un seul regret à l’horizon… L’incompréhension de la morale de cette légende par les chanteurs, qui n’en font qu’un hochet « féministe » : « Fulenn, en breton, ça veut dire étincelle mais aussi jolie fille. Cette chanson, c’est le symbole d’une femme qui va danser à la nuit tombée et qui fait ce qui lui plaît, en envoyant valser les regards médisants. C’est un texte féministe, qui parle de l’émancipation de la femme »[2], ce qui est proprement l’inverse du message initial porté par la Tradition bretonne, qui condamnait la luxure, la débauche, l’individualisme et l’hédonisme. Quel dommage d’avoir eu autant d’attention à préserver la spécificité bretonne et si peu de compréhension du matériau lui-même !
La suite de l’article est à lire dans notre numéro 11 – Pask Laouen d’an holl, disponible sur ce lien.
[1] Charles Le Goffic, l’Âme bretonne, IV
[2] http://www.chartsinfrance.net/Eurovision/news-120566.html
