Le 8 Avril dernier, l’Assemblée Nationale approuvait en seconde lecture le projet de Loi du député Paul Molac sur les langues régionales. Pour marquer cette belle victoire législative, l’hymne breton, le Bro Gozh ma zadoù, retentissait alors devant le Palais Bourbon, chanté par quelques députés comme une jolie récompense ayant défendu le texte de loi face aux suppressions de la commission et la désapprobation du gouvernement. Le symbole politique est fort : c’est l’apparente promesse de la fin d’une terreur linguistique, entamée en 1794 par Barère et l’abbé Grégoire contre les idiomes et dialectes locaux, à commencer par le « bas-breton ».
Jugé par les révolutionnaires comme « symbole du fédéralisme et la superstition », le breton était alors intrinsèquement lié au catholicisme, et était donc un roc à abattre pour les jacobins : « Vous avez ôté à ces fanatiques égarés les saints par le calendrier de la République ; ôtez-leur l’empire des prêtres par l’enseignement de la langue française. »[1].
C’est dans cette suite logique que s’inscrira, bien plus tard, le Ministre Dumay dès 1890 et surtout le Ministre de l’Intérieur et des Cultes Emile Combes, lors de la publication de la circulaire du 29 Septembre 1902 qui interdit la prédication catholique en langue régionale. Les premières années du XX°Siècle verront donc un nombre considérable de prêtres condamnés pour « usage abusif de breton », alors qu’une immense majorité de la population ne parle que cette langue. Comme l’écrivait le recteur de Plogoff, l’abbé Déniel : « Pour moi, je certifie que les deux tiers de mes paroissiens ne comprennent pas un mot de français. », ce que complétait encore le sous-préfet de Pontivy de l’époque. : « Il est exact que la population bretonne, en majeure partie, ne comprend pas le français ». Quelques années plus tard, la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée sans le soutien de la majorité des députés bretons, confirmera cette opposition entre le politique et le spirituel.
En prenant un peu de recul sur ces évènements, c’est bien la fragilité d’une langue qui transparait en premier. Parlée quasi-exclusivement en 1905 dans l’immense majorité du territoire breton, la langue bretonne était extrêmement minoritaire dans le domaine public à la fin des années 1970-1980. Comme l’indiquait le Projet Missionnaire Breton du Diocèse du Morbihan : « Pendant la première moitié du XXème siècle, alors que la langue bretonne était prise dans la machination destructrice de la IIIème république, l’Eglise diocésaine a été l’élément moteur et primordial du maintien de cette langue : catéchisme en breton, prêches en bretons, cantiques en breton… Il faut clairement le dire et ne pas avoir honte de l’affirmer : si le breton est encore parlé aujourd’hui, l’Eglise de Bretagne y a apporté une large contribution »
Mais il est également à noter que c’est grâce aux efforts et à la pugnacité d’une poignée de bretons qu’aujourd’hui, de nombreux écoliers entendent encore quotidiennement le breton ou le gallo via les associations Div yezh, Divaskell Breizh, Kevre Breizh Kelennomp ou encore Diwan par exemple.
Toutefois, le récent recours d’une soixantaine de députés de la majorité auprès du Conseil Constitutionnel contre la Loi sur les langues régionales doit appeler à la prudence : aucune victoire n’est gagnée pour la sauvegarde du patrimoine breton, et en premier lieu la transmission de sa langue.
En ce sens, il faut garder en mémoire les récurrentes désillusions quant à la reconnaissance des livrets de famille en breton, comme l’expliquait le Ministère de la Justice en 2014 à une question du Député Gérard le Cam : « Les livrets de famille étant constitués d’actes de l’état civil, qui sont des documents publics, doivent être, en l’état du droit actuel, rédigés en français. À l’inverse, il ne saurait en conséquence être reconnu de caractère officiel à des documents non rédigés en français, même partiellement. […] Ces livrets ne peuvent donc avoir de caractère officiel ni de valeur probante. »
Malheureusement, tant que le breton sera considéré comme une langue d’opposition par les néojacobins d’aujourd’hui et non comme un héritage régional à transmettre ; tant que la perpétuation des traditions régionales sera considérée comme une velléité de sécession et non comme un lien social spécifique et indispensable au Bien Commun ; tant que la décentralisation restera ce hochet promis mais jamais vécu, le malaise breton et français continuera malheureusement d’être le creuset des incompréhensions et des extrêmes.
« Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité. Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction de subsidiarité de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques. »[2]
[1] Rapport du Comité de salut public sur les idiomes, Bertrand Barère de Vieuzac
[2] Quadragesimo anno, Pie XI, 1931