Extrait de la dernière conférence d’Arthur de la Borderie, reprise par Léon Séché dans la Revue des Deux Mondes en 1902, disponible sur le numéro 10 de Kroaz ar Vretoned, Aux origines de la Bretagne :
« Avant de quitter cette histoire, disait-il, exprimons, s’il est possible, en quelques traits, le génie de la Bretagne, tel qu’il se dégage de la masse des faits, des événements qui forment sa vie, son existence nationale.
Le premier trait de ce génie, c’est un patriotisme indomptable, un attachement passionné, non seulement au sol natal, mais aussi aux mœurs, aux lois, aux croyances, aux traditions, à la langue, à tout ce qui constitue la personnalité morale de sa nationalité. Pour défendre cette nationalité et le dernier lambeau de terre qui en est le dernier asile, — une ténacité, une opiniâtreté invincible, qui use les victoires des vainqueurs, les conquêtes des conquérants, qui fait des Bretons le type des peuples résistants, durs, fiers, sans ambition, défenseurs intrépides du droit inhérent à toute nation de vivre, et de vivre indépendante, en développant librement son existence selon ses instincts et ses aptitudes providentielles.
Voilà les Bretons dans leurs rapports avec les autres peuples. Mais chez eux, dans leur vie nationale intérieure, comment se caractérise leur génie politique ?
Par deux traits d’abord, qui sortent l’un et l’autre naturellement de cette force de résistance, de celle ardeur de patriotisme extraordinaire qu’on vient de signaler en eux. Chez une nation fière, accoutumée à braver les conquérants, les individus répugnent personnellement au joug du despotisme ; et, d’autre part, un peuple fortement attaché à ses mœurs, à ses institutions nationales, ne saurait les abandonner aux caprices des factions. De là, chez les Bretons, un double courant : l’esprit de liberté, l’esprit de tradition ; et pour les concilier, les pousser tous deux vers un même but et vers un but supérieur, la flamme, la passion de l’idéal, si ardente chez nos bardes et nos saints, si vivante, si puissante toujours dans l’âme bretonne, et qui l’a jetée tout entière dans la religion de l’idéal par excellence : la foi du Christ.
Liberté, tradition, idéal : voilà le triple facteur de la vie intime et de la vie publique, de la vie nationale des Bretons.
Sur tout cela planant, pénétrant, dirigeant tout, le haut et jaloux sentiment de l’honneur, si fort, si souverain en Bretagne, que fit Bretagne en a fait son cri national, sa devise fière et sacrée, à laquelle tous ses enfants, dans le passé, dans le présent, dans l’avenir aussi, n’en doutons pas, ont toujours été et resteront toujours fidèles : Potius mori quam fœdari, plutôt la mort qu’une souillure ! »