Le 15 Mai 1891, c’est-à-dire il y a 130 ans, Léon XIII posait une pierre fondamentale de ce qui deviendra par la suite la Doctrine Sociale de l’Eglise, en donnant l’Encyclique Rerum Novarum. Poursuivi régulièrement par les différents papes depuis lors, l’établissement documenté, mûri et éclairé d’un enseignement politique, social, économique et écologique pour les sociétés modernes, communément appelé Doctrine Sociale de l’Eglise (DSE), reste aujourd’hui une source indispensable de leçons pour les gouvernants comme pour les citoyens.
La première question qui peut venir à l’esprit aujourd’hui, c’est la motivation de l’Eglise à s’engager sur ces chemins. De fait, le Compendium de la Doctrine Sociale répond très simplement : « Par sa doctrine sociale, l’Église « se propose d’assister l’homme sur le chemin du salut ». […] Ce droit est en même temps un devoir, car l’Église ne peut y renoncer sans se démentir elle-même et sans démentir sa fidélité au Christ: « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile! » (1 Co 9, 16).»
C’est sur ce point fondamental du chemin du Salut que s’appuie le premier principe de la DSE, à savoir la recherche de l’établissement d’un ensemble de conditions sociales qui permettent l’épanouissement complet des groupes ainsi que de leurs membres, la recherche du « bonus communis » notamment décrit par Saint Thomas d’Aquin. Toutefois, ce terme de Bien Commun est parfois confondu, à tort, avec celui d’intérêt général.
En effet, ces deux termes divergent notamment sur leur finalité. Pour Saint Thomas d’Aquin, la nature dans sa totalité est théocentrée, entièrement tournée vers « l’objet de la béatitude », Dieu : « l’Homme et les autres créatures raisonnables atteignent leur fin ultime par la connaissance et l’amour de Dieu »1 . Ainsi, Dieu est le Bonus Communis de tout l’univers, son principe et sa fin : la béatitude humaine est indissociable de la recherche de Dieu, où chaque homme s’appuiera sur sa vertu, en toute liberté, pour avancer sur ce chemin vers le Père.

L’intérêt général de son côté, tel qu’actuellement compris dans notre société laïque, se veut anthropocentré, c’est-à-dire entièrement tourné vers le bonheur de l’Homme par des dispositions sociales, politiques et économiques.
Deux conceptions de l’intérêt général s’opposent habituellement : la conception anglo-saxonne tout d’abord, où l’intérêt général « résulte de la conjonction des intérêts particuliers dont il n’est que la somme algébrique ». Cette approche utilitariste et libérale fait de l’intérêt général la somme mathématique des intérêts individuels, obtenue par une harmonisation quasiment naturelle, donc avec une intervention politique minimale pour de ne pas fausser l’ensemble.
La seconde conception, dite « française », a notamment été développée par Jean-Jacques Rousseau dans son ouvrage Du contrat social, où l’intérêt général y est décrit comme « l’intérêt des individus en tant que membre de la vie politique ». L’intérêt général transcende donc les intérêts particuliers par la recherche d’un ordre politique, recherche basée sur la vertu des citoyens.
Face à ces conceptions de l’intérêt général, le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise écrit (Point 164 à 170) : « Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. […] Le bien commun de la société n’est pas une fin en soi; il n’a de valeur qu’en référence à la poursuite des fins dernières de la personne et au bien commun universel de la création tout entière. Cette perspective atteint sa plénitude en vertu de la foi dans la Pâque de Jésus, qui éclaire pleinement la réalisation du vrai bien commun de l’humanité. Notre histoire — l’effort personnel et collectif pour élever la condition humaine — commence et culmine en Jésus: grâce à lui, par lui et pour lui, toute réalité, y compris la société humaine, peut être conduite au Bien suprême, à son achèvement. Une vision purement historique et matérialiste finirait par transformer le bien commun en simple bien-être socio-économique, privé de toute finalisation transcendante, c’est-à-dire de sa raison d’être la plus profonde.»
Ainsi, l’un des écueils fondamentaux et profondément dangereux en France face à cette recherche du Bien Commun reste l’actuelle conception de la Laïcité qui n’est plus « un lieu de communication entre les diverses traditions spirituelles et la nation »2 , mais une opposition véhémente et virulente entre le politique et le spirituel, entre la République et l’Eglise. Cet affrontement philosophique et politique crée un ensemble de conditions néfastes au Bien Commun, où même l’éthique, le Droit Naturel et la dignité humaine en viennent à être niés. A nous, catholiques, de faire entendre notre voix et défendre une véritable recherche du Bien Commun, en toute charité, mais en restant fermes sur les principes non négociables en politique et plus particulièrement en Bioéthique.
1 – Somme Théologique, Ia, IIae, qu. 1, art. 8, rép.
2 – Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, Point 572