Le terme de « Liberté » souffre aujourd’hui de satiation verbale, c’est-à-dire qu’à force d’être constamment répété à chaque prise de parole, il en perd son sens profond, historique, philosophique et même social.
C’est pourquoi il est parfois bon de regarder l’évolution de la compréhension de ce terme dans l’Histoire. Dès l’Antiquité, dans les écrits d’Aristote ou de Platon, cette notion est immédiatement tempérée par la responsabilité et du lien de causalité/conséquences de l’action volontaire (to hekousion), contrairement aux actions involontaires (to akousion). Ce point est développé dans Ethique à Nicomaque, l’un des ouvrages de référence d’Aristote. Il n’y a donc pas ici de lien au droit positif ni à la communauté, mais une première définition des libertés individuelles : toutes les actions volontaires posées en toute responsabilité, et en connaissance de cause.
Chez Platon, on retrouve même une dimension particulière de l’effectivité de la liberté : « est libre celui-ci qui, grâce au savoir du bien humain, est maître de lui-même »[1]. La Liberté n’est donc pas un idéal à atteindre, mais un état effectif de celui qui a la connaissance de ses choix, et de leurs conséquences. Il est d’ailleurs intéressant de relire Georgias de Platon, et notamment l’échange entre le rhéteur politique Polos et Socrate : le premier défend la thèse de la Liberté totale, à savoir « Libre est celui qui peut faire tout ce qui lui semble bon ». Socrate lui démontre alors que sans connaissance véritable de son objectif et sans maîtrise de soi, l’homme ne réalise pas ce qu’il veut mais ce que ses appétits lui indiquent : il n’est pas libre. Cette maîtrise de soi sera poussée plus tard par les stoïciens, qui y verront alors une plus grande liberté à mesure d’une plus grande maîtrise d’eux-mêmes.
Dès l’Antiquité, la Liberté n’est donc pas un idéal à atteindre, mais un état de fait qui pose les bases pour avancer vers le Bien Commun. Ce point sera ensuite développé par d’autres penseurs philosophiques, à commencer par Saint Augustin dans De Libero arbitrio, où l’on verra l’apparition de la notion de Libre Arbitre (liberum arbitrium, déjà évoqué par Tertullien), et l’adage « Aime, et fais ce que tu veux » (Dilige, et quod vis fac). L’agape, c’est-à-dire l’amour profond et sincère de l’autre, est ici point de départ comme pour la philosophie platonicienne. Il ne s’agit donc pas ici d’une ode à la Liberté totale : parce que Dieu a indiqué qu’il fallait « aimer notre prochain comme nous-mêmes », la philosophie augustinienne pose que la liberté individuelle passe par l’accomplissement de toutes les actions possibles pour le bonheur du prochain : « Ce court précepte t’est donné une fois pour toutes : Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par Amour, si tu parles, parle par Amour, si tu corriges, corrige par Amour, si tu pardonnes, pardonne par Amour. Aie au fond du cœur la racine de l’Amour : de cette racine, rien ne peut sortir de mauvais. Voici ce qu’est l’Amour ! »[2]
Et c’est dans ce cadre qu’il est intéressant de citer l’hérésie du pélagianisme : établie au IV°Siècle par le moine Pélage, elle sous-tend que c’est par la Liberté – dans son cadre de libre-arbitre – que l’homme peut obtenir son salut, c’est-à-dire s’abstenir de tout péché. Pas de péché originel ici, pas de besoin de la Grâce divine, le Libre arbitre peut être seul salvateur de l’Homme : le Christ est simplement un modèle à suivre dans ses actions, accessible pour tout le monde. On voit ici les premières bases d’une quasi-déification de la Liberté et du libre arbitre, où l’homme est bon « par nature » : ce sont ces bases philosophiques et théologiques qui seront reprises, bien plus tard, par un certain Jean-Jacques Rousseau pour son ouvrage Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes paru en 1755.
La suite de cet article est disponible sur le numéro 10 de Kroaz ar Vretoned, Aux origines de la Bretagne
[1] République IV 443d4
[2] Saint Augustin, Commentaire de la première épître de Jean, traité VII, 8.