A quelques jours du 718°Pardon de Saint Yves, la décision préfectorale est tombée comme un couperet, interdisant la procession entre la Cathédrale Saint-Tugdual de Tréguier et la petite église Saint Yves du Minihy-Tréguier. Sous couvert de l’état d’urgence et de l’excuse sanitaire, le préfet a donc refusé que les catholiques bretons honorent leur Saint Patron, alors que quelques jours plus tôt, des centaines de manifestants arpentaient les rues de Saint Brieuc pour la Fête du Travail.
De fait, l’argument sanitaire ne tient pas : non seulement les paroisses catholiques ont toujours présenté des protocoles sanitaires drastiques et exemplaires, mais surtout la procession en extérieur présentait des possibilités d’adaptations conséquentes, sur les distances entre les pèlerins par exemple.
Alors, pourquoi interdire cette procession religieuse ? On pourrait aisément se perdre en conjectures sur la motivation profonde de cette décision, sans jamais avoir de confirmation de l’intéressé bien évidemment. Toutefois, plusieurs points peuvent éclairer cette décision politique.
En premier lieu, le préfet des Côtes d’Armor a pu s’autoriser à interdire cette procession pluri-centenaire parce que l’actuelle crise sanitaire a créé un climat de peur extrême, où même « l’espérance la plus audacieuse peut s’évanouir » comme disait le Saint Père. Cette peur incontrôlable de la mort peut nous pousser à accepter toutes les contraintes et les privations, sans discernement ni raison, jusqu’à en oublier l’espérance du Christ et la confiance en Dieu. Depuis quelques mois, l’Etat lui-même n’a-t-il pas essayé d’interdire les offices et certains sacrements par ce prétexte, ou en limiter fortement l’affluence ? En ce sens, remercions une nouvelle fois les évêques et associations qui se sont mobilisés il y a quelques mois pour préserver l’équilibre entre l’impératif de protection de santé avec l’impératif religieux, nécessité impérieuse pour le Salut de nos âmes.
De fait, on peut également arguer que le préfet des Côtes d’Armor a pu s’autoriser à interdire cette procession pluri-centenaire parce que les catholiques sont obéissants par nature, respectueux à l’extrême des lois de l’Etat. Comme l’écrivait le Pape Léon XIII dans l’Encyclique Sapientiae Christianae : « Les chrétiens entourent donc d’un respect religieux la notion du pouvoir, dans lequel, même quand il réside dans un mandataire indigne, ils voient un reflet et comme une image de la divine Majesté. Ils se croient tenus de respecter les lois, non pas à cause de la sanction pénale dont elles menacent les coupables, mais parce que c’est pour eux un devoir de conscience, car Dieu ne nous a pas donné l’esprit de crainte. »
Même dans tous les combats contre la Culture de Mort, contre les lois iniques et contraires à la dignité humaine, les catholiques conservent un haut respect de la légalité et des voies de contestation. Certains y verront de la servitude et de la faiblesse, d’autres une évidence que l’honneur guide : dans tous les cas, gardons en mémoire cette réponse des apôtres aux magistrats, repris dans de nombreux textes de l’Eglise – « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »
Un autre point qui peut éclairer cette décision reste malheureusement la baisse d’intérêt et d’affluence pour la préservation des traditions catholiques bretonnes, baisse toute relative toutefois dans le cas du Grand Pardon de Saint Yves qui rassemble en temps normal quelques milliers de catholiques bretons. Cette baisse d’intérêt, de la part des catholiques comme de la part de la société en général, incite à la relativisation de ces traditions que certains se plaisent à surnommer « folkloriques ». De fait, ces décisions doivent faire l’effet d’électrochocs pour les catholiques bretons : quelle importance accordons-nous à la préservation de la mémoire des traditions de nos ancêtres ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour permettre à nos enfants de découvrir et prier nos Saints bretons, dans la langue de leurs ancêtres et selon les coutumes bretonnes ?
Enfin, la concomitance entre l’approbation des défilés du 1°Mai et l’interdiction de la procession de Saint Yves doit rappeler aux catholiques ce qu’écrivait le Pape Léon XIII dans l’Encyclique Immortale Dei : « Les sociétés humaines ne peuvent pas, sans devenir criminelles, se conduire comme si Dieu n’existait pas ou refuser de se préoccuper de la religion comme si elle leur était chose étrangère ou qui ne pût leur servir de rien. ».
Sous couvert de Laïcité, la relativisation du rôle de la Religion dans l’avancée vers le Bien Commun de l’ensemble de la Société induit de flagrantes injustices, qui soulève la question de la politique même qui aujourd’hui s’applique en France : « les princes dont la volonté est en opposition avec la volonté et les lois de Dieu, dépassent en cela les limites de leur pouvoir et renversent l’ordre de la justice ; dès lors, leur autorité perd sa force, car où il n’y a plus de justice, il n’y a plus d’autorité. »
Cette décision préfectorale, injuste et injustifiable, s’inscrit dans une dynamique où les catholiques vont être, rapidement, mis face à un choix douloureux entre l’obéissance à Dieu ou l’obéissance à César, où l’équilibre deviendra hautement précaire. L’abbé Caous, curé de Tréguier, a fait le choix courageux de réaliser la Procession à Saint Yves en évitant l’appellation « rassemblement », car suivi de 5 personnes. Il n’a donc pas « bravé » l’interdiction préfectorale, mais essayé – autant que faire se peut – d’honorer Saint Yves tout en respectant les lois de César.
Merci mon Père d’avoir pu honorer notre Saint Patron en notre nom, d’avoir perpétué cette tradition bretonne malgré les embûches, d’avoir montré un exemple de courage et d’espérance en ces temps où le doute et le pessimisme pourraient nous abattre !
E.B